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Philosophie |
| Jacques Bouveresse Peut-on ne pas croire? - Sur la vérité, la croyance & la foi Agone - Banc d'essais 2007 / 24 € - 157.2 ffr. / 286 pages ISBN : 978-2-7489-0068-2 FORMAT : 12,0cm x 21,0cm
L'auteur du compte rendu: Chercheur au CNRS (Centre d'analyses et de mathématiques sociales - EHESS), Michel Bourdeau a publié divers ouvrages de philosophie de la logique (Pensée symbolique et intuition, PUF; Locus logicus, L'Harmattan) et réédité les conclusions générales du Cours de philosophie positive (Pocket) ainsi que l'Auguste Comte et le positivisime de Stuart Mill (L'Harmattan). Imprimer
Alors quon la croyait bien enterrée, la question de la religion ressurgit de toute part. Le moins remarquable, dans laffaire, nest pas la sympathie avec laquelle bon nombre dintellectuels saluent ce retour du religieux. Loin de laccueillir avec réserve, comme on pourrait sy attendre de leur part, ils nous invitent plutôt à y voir non seulement un signe des temps, mais encore un signe de progrès. Dans Peut-on ne pas croire ?, Jacques Bouveresse, connu pour le combat quil mène depuis longtemps contre les sirènes de la post-modernité, saisit loccasion de remettre une nouvelle fois les pendules à lheure. Louvrage rassemble trois essais écrits entre 2003 et 2005 et remaniés pour la circonstance. Le premier, consacré à Musil, fait aussi une large place à Nietzsche ; le dernier est consacré à Wittgenstein ; le second, Faut-il défendre la religion ?, qui représente la quasi totalité du volume (pp.39 à 250), provient quant à lui dune conférence prononcée à lInstitut Catholique de Paris.
La position défendue par Bouveresse ne manque ni de force ni doriginalité. Sil condamne les tentatives de réhabilitation du religieux, ce nest pas au nom dun athéisme militant. Nous ne sommes plus en 1905 : lanticléricalisme à la Combes ou à la Clemenceau a disparu, le catholicisme sest fait discret et nous nous habituons au multiconfessionalisme. Bouveresse parle de lextérieur : tout en se déclarant incroyant, il reproche à ses adversaires, qui se donnent pour des esprits ouverts, den prendre un peu trop à leur aise avec les éléments constitutifs du religieux et plus généralement avec la vérité, comme si le désir de croire suffisait à valider la croyance. Dans sa réflexion, Bouveresse puise à différentes sources : Musil et Wittgenstein, bien sûr, mais aussi Renan et Durkheim, qui ont marqué la Troisième République, ou encore Russell et William James, qui ont tous deux longuement parlé de la religion, en des termes dailleurs fort distincts.
Au cur du débat se trouve le rapport à établir entre nostalgie de la croyance et retour du religieux. Quil y ait en effet une nostalgie de la croyance, comme il y a une nostalgie de lenfance, nul ne le niera. Le désenchantement du monde a laissé un vide que lhumanité na toujours pas réussi à combler. Pour en conclure au retour du religieux, il faut toutefois avoir au préalable répondu à deux questions, portant sur chacune des notions en cause : que vaut le besoin de croire ? comment définir le religieux ? Si le premier aspect concerne avant tout la dimension cognitive de la croyance, les conséquences politiques nen sont pas moins assez immédiates. Suivre William James, lorsquil insiste sur la capacité remarquable qua la volonté de croire de créer sa propre validation, ne va pas sans danger et il est permis de penser que ce type de considération nétait pas étranger à la fin de non-recevoir que Russell a opposé à la théorie pragmatiste de la vérité : entre besoin de croire et amour de la vérité, le pragmatisme, du moins celui de James, inverse le rapport. A tous ceux qui invoquent le désir de croire, il convient de répondre que celui-ci na jamais constitué une raison suffisante et quil devrait peser bien peu au regard de lattachement indéfectible que nous devons à la vérité. La politesse de lesprit nous invite à demander des preuves et à ne pas croire sans raison.
Il serait bien naïf de penser que les Lumières ont triomphé une fois pour toutes et quil ny aurait plus à lutter contre les marchands de sommeil. Les quelques pages (154-55) qui rappellent le degré de crédulité qui continue à régner dans nos sociétés dites avancées sont littéralement accablantes. Dans ces conditions, on ne sétonnera pas que lidée que liberté politique et amour de la vérité aillent de pair parcourt louvrage comme un leitmotiv. Pour un véritable démocrate, lidée de démocratie intégrale en matière de croyance ne va pas sans poser de sérieux problèmes. Si lon veut que la tolérance soit une vertu, il faut éviter quelle puisse se confondre avec la simple indifférence à la vérité. Il est faux que toutes les croyances aient droit à un égal respect et cest pourquoi on ne peut pas ne pas poser de limites à louverture desprit. Cest dans ce cadre que se situe le débat récent qui a opposé Rawls et Habermas sur la question des rapports à établir entre les convictions religieuses dune part et cette raison publique qui sert à régler les conflits au sein des sociétés démocratiques dautre part. Alors que les uns demandent au croyant de traduire ses motifs dans le langage neutre de la raison publique, les autres rétorquent quen toute équité le non croyant devrait accomplir une démarche équivalente et reconnaître que, de quelque façon, le contenu des croyances religieuses de ses concitoyens le concerne également. Tout en reconnaissant la nécessité de ne pas perdre de vue les racines éthico-religieuses de la raison publique, Bouveresse formule dexpresses réserves sur cette tendance à la resacralisation des raisons profanes.
La question de la définition de la religion, quant à elle, est notoirement difficile. Le débat évoqué à linstant vient nous rappeler que la frontière qui sépare la religion de la morale et de la politique est loin dêtre étanche et lon na pas manqué de faire remarquer que souvent les adversaires de la religion présentaient plus dun trait commun avec ceux dont ils combattaient les doctrines : les raisons ne manquent pas, par exemple, pour considérer Russell comme un esprit religieux. La difficulté principale porte toutefois sur la possibilité de faire ou non léconomie de toute référence aux divinités ou au surnaturel. Debray, quand il parle de sacré républicain, répond par laffirmative et sautorise pour cela de Comte ou de Durkheim ; mais cest au prix de singuliers raccourcis et il est douteux que ces derniers se seraient reconnus dans sa position. Il passe notamment sous silence la distinction tranchée que le sociologue établissait entre sacré et profane et se garde bien de poser la question que celui-ci donnait pour cruciale : à quoi pourrait bien ressembler la religion dont nous aurions besoin aujourdhui ?
Lobjection ne vaut pas pour la seule définition de la religion puisquelle relève dune règle dhygiène intellectuelle proche de ce qui a été dit plus haut de lexcès douverture desprit : il nest pas bon de donner aux mots une signification indéfiniment extensible car, à trop aller dans ce sens, on court le risque de leur faire dire nimporte quoi ; le risque, ici, de finir par trouver du religieux partout. W. James, à sa façon, tombe sous le coup de la même critique lorsquil propose dapprocher le phénomène religieux à partir de lidée dune expérience religieuse qui précéderait la religion et en serait donc indépendante. Il est vrai quen ce temps de déclin des formes traditionnelles de religion, chacun se débrouille comme il peut avec ses expériences religieuses. Mais il sagit davantage de religiosité que de religion ; lexpérience invoquée est une simple affaire privée, une religion personnelle qui relève autant de la morale que de la religion proprement dite. Le lobbying de la Scientologie auprès de N. Sarkozy ou de Bruxelles pour se faire reconnaître juridiquement comme une Eglise est là pour nous rappeler que cette question de définition nest pas purement spéculative.
Tout au long de ces pages, il est également question de science. Si la liberté politique ne va pas sans amour de la vérité, ce dont manquent nos démocraties, cest moins de foi que de savoir, desprit religieux que desprit scientifique. Le constat peut surprendre. De quoi sommes nous plus fiers que du prodigieux essor scientifique qui nous permet denvoyer des hommes dans lespace ou de cloner des êtres vivants ? Mais cest oublier que la science na pas pour seule fonction de servir de base rationnelle à laction de lhomme sur la nature. Encore que lidée devienne de plus en plus étrangère aux politiques éducatives, il a longtemps été admis que lenseignement des sciences ne visait pas uniquement ni même dabord la formation professionnelle et quil était aussi destiné à préparer à lexercice de la liberté. Dans cette perspective, ce qui compte, cest moins lacquisition de connaissances scientifiques que lesprit scientifique : rigueur, probité intellectuelle, capacité à distinguer clairement ce que lon sait de ce que lon ne sait pas sont autant de qualités indispensables aux citoyens.
Un regret pour conclure. La croyance est considérée exclusivement dans sa dimension cognitive, comme une attitude propositionnelle. Or la question religieuse, plus encore quand est pris en compte son rapport avec la vie politique, invitait à faire une place à une théorie sociologique de la croyance. La croyance nest pas seulement un rapport à la vérité, cest aussi un rapport social ; nous croyons quelque chose, mais nous croyons aussi quelquun. Le crédit repose sur la croyance entendue comme confiance. Lidée nest pas nouvelle. Comte parlait en ce sens de foi positive ; cest ce qui lui permettait de dissocier religion et théologie, et de penser une religion civile empruntant ses dogmes à la science. Avant lui, la Logique de Port-Royal rapportait déjà la foi à «lautorité des personnes dignes de créance» et distinguait en conséquence entre foi divine et foi humaine.
Michel Bourdeau ( Mis en ligne le 15/05/2007 ) Imprimer | | |
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