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Philosophie |
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Un des plus grands philosophes de la seconde moitié du XXe siècle | | | Willard Van Orman Quine Philosophie de la logique - & Relativité de l’ontologie et autres essais Aubier - Philosophie 2008 / 20 € - 131 ffr. / 158 pages ISBN : 978-2-7007-0147-0 FORMAT : 13,5cm x 22,0cm
Voir aussi:
Willard Van Orman Quine, Relativité de lontologie et autres essais, Aubier (Philosophie), Février 2008, 187p., 20 , ISBN : 978-2-7007-0172-2.
Traductions de Jean Largeault.
L'auteur du compte rendu: Chercheur au CNRS (Centre d'analyses et de mathématiques sociales - EHESS), Michel Bourdeau a publié divers ouvrages de philosophie de la logique (Pensée symbolique et intuition, PUF; Locus logicus, L'Harmattan) et réédité les conclusions générales du Cours de philosophie positive (Pocket) ainsi que l'Auguste Comte et le positivisime de Stuart Mill (L'Harmattan). Imprimer
La logique, lontologie : les titres des deux volumes qui viennent dêtre réédités situent demblée au cur de la pensée du philosophe nord-américain Willard van Orman Quine (1908-2000).
Celui-ci avait en effet choisi de philosopher «dun point de vue logique» (cest le titre de son premier ouvrage à caractère ouvertement philosophique). La logique nest pas seulement une discipline, cest aussi un point de vue, et le domaine auquel elle donne accès nest autre que lontologie, rendue enfin respectable (mise à labri des objections de ses adversaires) grâce précisément à la logique. Autant dire quil sagit de deux livres majeurs. Publiés tous deux en 1969, ils appartiennent à ce qui est sans doute la période la plus féconde de leur auteur et furent rapidement traduits en français (1975 et 1977) par Jean Largeault, à qui tous les philosophes logiciens doivent être reconnaissants pour son travail de pionnier. Pour qui voudrait découvrir la pensée de Quine, il ny a peut-être pas de meilleur choix. «Parler dobjets», lessai qui ouvre le second volume, est un véritable petit chef-duvre, qui dispenserait presque de la lecture de Word and Object. Quant à la «philosophie de la logique», lart avec lequel le maître de Harvard y parle en langage simple et presque amusant des questions les plus arides force ladmiration. Laissant donc au lecteur le soin de découvrir par lui même la vertu roborative de ces pages, interrogeons-nous à la place, quarante ans après leur publication, sur ce que nous devons à Quine.
Il y a peu de risque de se tromper en affirmant quil restera comme un des plus grands philosophes de la seconde moitié du vingtième siècle. A linstar de W. James cinquante ans plus tôt, il sest vite acquis une renommée internationale, montrant à ceux, un temps légion, qui le mettaient en doute, que la philosophie pouvait très bien sacclimater sur le sol nord-américain. Bien plus, tout se passe comme si, avec lui, le centre de lactivité philosophique sétait déplacé vers les USA. Alors que les deux maîtres quil se reconnaissait, Russell et Carnap, étaient européens, les philosophes européens auraient plutôt tendance aujourdhui à chercher leurs maîtres de lautre côté de lAtlantique. Dun tel déplacement, il a été le principal artisan, et cest ce qui fait de lui le philosophe le plus influent de sa génération, Strawson ou Austin, ses contemporains, ne pouvant lui être comparés à cet égard. En ce sens, dune façon ou dune autre, nous lui devons tous quelque chose, et cest pourquoi il importe tant de le lire.
Et pourtant, préciser cette dette dans le détail est loin dêtre facile. A lire ces deux volumes, ce qui frappe dabord, cest la distance qui sest creusée avec les années et, rétrospectivement, Quine apparaîtrait presque comme le champion des causes perdues. Le cas le plus clair est celui des logiques modales. A partir de 1943, il a consacré une bonne partie de son activité à convaincre la communauté philosophique que celles-ci étaient nées dans le péché, et quil ny avait pas de place pour les modalités en logique. Tous ses efforts nont pourtant pas empêché le triomphe de la sémantique des mondes possibles et personne aujourdhui ne se soucie plus de ce genre dinterdit.
Lontologie fournit un exemple différent mais tout aussi caractéristique. Quel plus beau triomphe que celui de Quine dans le débat qui lopposait sur ce point à Carnap, dira-t-on ! Nest-ce pas à lui que les philosophes analytiques doivent de pouvoir pratiquer lontologie sans la moindre arrière pensée ? Sans doute, mais il nest pas sûr que lintéressé aurait donné son aval à ce qui circule aujourdhui sous ce nom. Cest parce que la logique nous fournissait un critère clair pour y répondre que les questions ontologiques prenaient enfin un sens et que les objections formulées par Carnap tombaient ; et pour appliquer ce critère, il fallait commencer par traduire nos connaissances dans le langage austère de la logique. Faute de satisfaire à ces deux conditions, le projet de Quine était vidé de toute substance. Or, de cela, plus personne une fois encore ne se soucie. Voilà comment lontologie est aujourdhui quinienne à peu près comme elle était heidegerienne il y a une génération. La facilité avec laquelle la notion a pu ainsi passer dun bord à lautre a de quoi éveiller les soupçons : le terme a tout lair de fonctionner comme un pavillon de complaisance, servant à mettre en circulation les marchandises les plus diverses. Certes, Quine ouvrait des portes ; mais, derrière, il prenait soin den verrouiller solidement plusieurs autres. Pour ne pas en avoir tenu compte, on a fait de lontologie une cause quil aurait peut-être mieux valu ne pas avoir gagnée.
Il en va encore de même dans le cas du naturalisme aujourdhui dominant. Certes «lépistémologie naturalisée», qui forme le chapitre trois du second volume, a largement contribué à la diffusion dun courant auquel se rattachent les sciences cognitives. Mais, si les membres du Cercle de Vienne nemployaient pas le mot, leurs efforts allaient déjà dans le même sens, et ce qui est plutôt nouveau avec Quine, cest le retour de l«épistémologie» (au sens anglais de théorie de la connaissance, et non de philosophie des sciences, ce qui était jusquil y a peu le seul sens en français), la théorie de la connaissance ayant en effet vite été bannie par les Viennois au profit de la seule philosophie des sciences. En proposant de réhabiliter le point de vue traditionnel, larticle de 1968 préparait le renouveau de la philosophie de lesprit et «naturalisée» nest là que pour indiquer le renoncement à la philosophie première et à la recherche cartésienne dun fondement inébranlable. Pour autant, faire de Quine le précurseur des sciences cognitives serait aller vite en besogne. Ce serait en particulier oublier son indéfectible attachement au behaviorisme skinnerien. Pour asseoir leur prétention à la scientificité, les sciences cognitives font largement appel aux neuro-sciences et lon voit mal comment ceci est conciliable avec linterdiction douvrir la boite noire. Le vrai parrain des sciences cognitives nest pas Quine, dont lanti-mentalisme ne souffre aucune compromission, mais le champion du mentalisme, Chomsky, dont le premier a vite condamné les prises de positions philosophiques.
Avec le recul du temps, Quine apparaît comme un point daboutissement beaucoup plus que comme un point de départ. Il est le dernier représentant dune lignée commencée avec Frege et qui passe par Russell et Carnap. Tous les quatre sont unis dans une même conviction : sil est vrai que la logique est pour un philosophe un organon, un outil, alors la création de la logique moderne représente un événement majeur, quil faut mettre à profit. Idéographie, syntaxe logique, langage de la science unifiée, notation canonique : dans tous les cas, la logique devait permettre au philosophe de confectionner un langage idéal doù les multiples imperfections des langues vernaculaires auraient disparu et qui ne mettrait donc aucun obstacle à lexpression dune pensée rigoureuse. Ce projet grandiose a été abandonné et la raison dêtre philosophique de la logique est redevenue problématique. Comme la grammaire, dont elle est en quelque sorte le prolongement, cest une discipline ingrate. Ainsi que lindique létymologie, elle procède dune réflexion sur le langage. Or, rien nest aussi peu naturel que de considérer celui-ci pour lui-même. Le mot est là pour désigner la chose et le prendre comme objet revient donc, quelque part, à en méconnaître la nature. Quand il présente la définition tarskienne de la vérité, Quine insiste sur la «décitation» : après la «montée sémantique» (parler du langage), il faut bien en revenir au réel, aux faits qui rendent vrai ce que nous disons. Mais, à un moment ou à un autre, il faut en passer par ce détour.
Voilà pourquoi il ny a pas de cursus philosophique sans logique ; voilà aussi pourquoi il faut souhaiter que les philosophes continuent encore longtemps à lire Quine.
Michel Bourdeau ( Mis en ligne le 22/05/2008 ) Imprimer | | |
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