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Quand le peuple perd le pouvoir et le pouvoir perd le peuple | | | Laurent Joffrin Le Gouvernement invisible - Naissance d'une démocratie sans le peuple
Arléa 2001 / 16 € - 104.8 ffr. / 190 pages
Prix du Livre Politique 2002
ISBN : 2-86959-553-0
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Directeur de la rédaction du Nouvel Observateur, Laurent Joffrin lance les fondements d’une large réflexion sur le pouvoir. Son constat initial est sans appel : dans la France d’aujourd’hui, le peuple perd le pouvoir et le pouvoir perd le peuple. L’éditorialiste déplore l’avènement d’une "démocratie sans le peuple". Par la convergence du droit, de l’Europe technocratique et de l’imperium des marchés, règne selon lui une oligarchie de fait.
Ainsi la seule classe qui dirige notre pays est celle des maîtres de l’économie mondiale devant lesquels tous les gouvernements successifs se sont résignés, révélant leur incompétence autant que leur impuissance. Pour autant "tout n’est pas perdu" et c’est là que se révèle l’ambition de l’ouvrage : Joffrin veut "explorer les voies d’une prise de pouvoir". Loin de se borner à un nouveau constat alarmant, il cherche surtout à jeter des ponts entre le peuple et les responsables progressistes et suggère les voies d’une réforme de la politique pour contrer l’omnipotence du pouvoir économique.
Le propos est efficace, le livre résolument engagé. Pour autant, Laurent Joffrin se défend de vouloir faire resurgir l’ancien marxisme-léninisme et de tomber dans la sombre caricature d’une société férocement opprimée par les marchés. Il évoque avant toute chose les déséquilibres entre des forces contradictoires qui, selon lui, biaisent le jeu démocratique et contre lesquels il faut se lever. Un Alain Minc ou un Jean-Marie Messier, à la modération apparente, lui semblent des personnages dangereux.
Démontrant en quoi le peuple a été dissout, l’auteur dénonce la perversion des valeurs classiques au profit du tout-libéral, tout comme l’exclusion politico-culturelle des "nouveaux ringards", en marge de la modernité émergeante. Il pointe aussi du doigt ces "idiots" qui croient combattre la logique du marché et ne font en réalité que le servir, accuse les énarques d’avoir trahi leur mission en soutenant l’oligarchie, vilipende les membres de la deuxième gauche qui n’ont pas su se renouveler. Et Laurent Joffrin d’insister sur cette "gouvernance" qui empêche les gouvernements d’exister vraiment et les souverainetés nationales de s’exprimer : pour lui, on retrouve l’oligarchie à tous les niveaux, y compris européen (notre Europe ne serait en réalité que celle des élites), même si les apparences, encore une fois, donnent à penser le contraire.
Sa démonstration veut justifier la désaffection à l’égard du politique et cette coupure grandissante entre les élus et le corps électoral, entre les dirigeants et les dirigés. Mais la leçon du journaliste reste toujours nuancée : son rejet d’une démocratie de marché n’est pas celui du marché en lui-même, son indignation devant une société injuste est consciente de la permanence insoluble de certaines inégalités. Son constat est d'abord un appel à la prise de conscience, au courage et à la réforme, pour renouveler en profondeur notre système.
En définitive, ce livre n’a sans doute pas été écrit de façon désincarnée - l’avant-dernier chapitre ne porte-t-il pas un jugement favorable à l’action de Lionel Jospin ? - mais, que l’on adhère ou non à certaines idées, il offre une analyse engagée mais pertinente qui donne à réfléchir.
Edouard de Ménibus
( Mis en ligne le 20/03/2002 )
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