|
Sciences, écologie & Médecine |
| |
Tous les chagrins sont supportables si l’on en fait un récit | | | Béatrice Ceretti Ils m'ont contaminée - Le scandale des infections nosocomiales L’Archipel 2004 / 17,95 € - 117.57 ffr. / 235 pages ISBN : 2-84187-631-4
Océane Brunet est interne en chirurgie à Lyon. Imprimer
Laffaire de la Clinique du Sport, qui défraya la chronique dans les années 90, fut à lorigine dune brutale prise de conscience quant aux risques infectieux existant au sein même des établissements de santé et définissant ce que lon appelle pompeusement les infections nosocomiales - ainsi que dune profonde mutation de la relation médecin/patient.
Rappel des faits : la Clinique du Sport, alors au faîte de sa gloire et de sa renommée, pratiqua entre 1988 et 1993 sur plusieurs centaines de patients souffrant de hernie discale la nucléotomie percutanée, technique rapide et peu invasive. Mais, oublieux des règles élémentaires dhygiène et de sécurité, létablissement restérilisait sans vergogne du matériel à usage unique et, comme il ny a pas de petites économies, se contentait de rincer à leau du robinet les instruments préalablement passés quinze minutes dans un bain de Sydex, contaminant ainsi une soixantaine de personnes. Béatrice Ceretti est lune de ces victimes, dont la lutte contre la maladie et pour la reconnaissance du préjudice quelle a subi relève du véritable parcours du combattant.
1991. Béatrice Ceretti a 29 ans et souffre depuis quelque temps de sciatalgies extrêmement douloureuses. Elle décide, sur les conseils dun ami, de se faire opérer à la Clinique du Sport, dont la réputation nest plus à faire. Hélas, le résultat escompté nest pas au rendez-vous et les douleurs persistent. Acceptant avec bonne grâce léchec de lintervention, la jeune femme se consacre entièrement à sa vie de famille. Mais la souffrance va saccroissant et lentraîne pernicieusement dans le cercle vicieux du nomadisme médical : les consultations succèdent aux consultations, déminents spécialistes sont sollicités pour trouver la cause de létrange mal qui ronge Béatrice. Tous restent dubitatifs, évoquant à mots couverts une conversion hystérique ou une dépression cachée. Débute alors une lente descente aux enfers, jusquau jour où le diagnostic tombe enfin : Béatrice présente un mal de Pott vertébral, une destruction de ses vertèbres due à une mycobactérie. Mais celle-ci est plutôt particulière, et son nom hantera à jamais la jeune femme : Mycobacterium xenopi, responsable dune certaine forme de tuberculose, contractée lors de son opération en 1991.
Découvrant quelle nest pas la seule dans ce cas de figure, Béatrice, épaulée par son mari, entame alors un long travail de recherche pour retrouver les autres victimes de xenopi. Le plus difficile reste alors à venir : faire reconnaître ses erreurs à la Clinique du Sport et obtenir le dédommagement des victimes. Les deux époux se heurteront en effet à un mur de silence, et seront contraints de recourir au grand déballage médiatique pour faire éclater le scandale au grand jour. Mais leur combat dépassera largement le cadre de cette simple affaire, aboutissant à la création dune association de lutte contre les infections nosocomiales et daide aux victimes, le LIEN, ainsi quau vote de la loi Kouchner. Actuellement, linstruction ouverte il y a plus de sept ans est toujours en cours, et certaines des victimes nont toujours pas été indemnisées
On ne peut évidemment quêtre scandalisé et ému par lhistoire de Béatrice Cerreti, qui offre danthologiques moments de mauvaise foi et de cynisme de la part des médecins et des assureurs : les premiers tentent misérablement détouffer laffaire tandis que les seconds essaient dacheter le silence des victimes, puis de retarder le paiement des indemnités, soulevant une inquiétude non dissimulée de lauteur qui sinterroge sur le devenir de lassurance maladie une fois cette dernière confiée à des compagnies privées, comme il en est régulièrement question. Sans parler des experts sollicités pour le dossier, qui touchèrent bien au-delà de ce que les patients perçurent en indemnités
On est également admiratif face au travail entrepris par les Ceretti pour parvenir à faire reconnaître les infections nosocomiales comme un problème de santé publique majeur, et instaurer la mise en place de bonnes pratiques et de protection des victimes. Travail réalisé au prix dune longue enquête, quasi-policière, et dun acharnement sans faille, dans le long dédale de la machinerie judiciaire française. Enfin, on ne peut quapprouver le triste constat de lauteur, qui reproche à la médecine-business son manque dhumanité et sa technicité exacerbée.
Mais au-delà du témoignage, un autre discours se fraie subrepticement un passage, beaucoup plus contestable. Laissons de côté le titre de louvrage qui se veut demblée accusateur - révélant tout de même un esprit revanchard dont lauteur va pourtant se défendre tout au long du livre - et attachons-nous un peu plus à cette fameuse loi Kouchner portée aux nues par Béatrice Ceretti. Cette loi rend tout dabord laccès dun patient à son dossier médical possible : un progrès certes, bien que lon puisse douter de laptitude de tout un chacun à lire et comprendre ce type de document, avec son jargon et ses innombrables abréviations. «Considération terriblement archaïque», objecteront certains, mais réellement problématique. Par ailleurs, sous prétexte de «démocratie sanitaire» (?), le patient est en droit deffectuer, «en collaboration avec son médecin», les choix qui le concernent pour sa santé. Entendez : la thérapeutique. On sétonnera alors de lindécente longueur des études médicales, si le premier venu se montre finalement capable de savoir ce qui est bon pour lui et de décider de sa prise en charge.
La relation médecin/patient repose assurément sur un rapport de confiance et de concertation, mais cette confiance pourrait-elle résister face à un étalage dorientations thérapeutiques aussi diverses que variées que le médecin se contenterait de lister au patient, lui laissant alors la lourde responsabilité dassumer seul la décision finale ? Bien sûr que non. Le médecin, fort de son expérience et de son savoir, est aussi là pour établir une stratégie thérapeutique laquelle, bien expliquée, sera presque toujours acceptée. Réduire le praticien à un simple prestataire de service et la médecine à un self-service de la santé est lun des risques majeurs de cette loi. Enfin, un principe nouveau et à priori très excitant, dont le revers de la médaille est étrangement passé sous silence : les patients nont plus à apporter la preuve dune faute à lorigine de leur infection, la responsabilité incombant aux seuls établissements.
Ajoutez à cela lindemnisation des infections nosocomiales qui laissent des séquelles avec un niveau dinvalidité inférieur à 25% par les compagnies dassurances, et tous les ingrédients sont réunis pour lexplosion des primes dassurances auprès des professionnels de santé. Face au manque cruel de praticiens en France, en particulier dans les spécialités chirurgicales, on n'a ainsi rien trouvé de mieux pour étouffer dans luf toute velléité de carrière médicale ; non content de saper le moral des futurs professionnels, on permet un véritable racket de ceux en exercice, sous prétexte de laugmentation des procès. Peut-être assistera-t-on bientôt au même phénomène quaux USA, où désormais tout patient ayant perdu un procès contre un médecin se voit attaqué en diffamation par ce dernier. La tentation de se faire de largent «facile» sen trouvera alors peut-être amoindrie
De plus, lauteur se permet des considérations parfois ambiguës, reprochant par exemple aux médecins leur manque de «culture du rapport qualité/coût». Lépineuse question de lobligation de moyens opposée à celle de résultats refait surface, avec en arrière-pensée le spectre de léconomie de santé qui, bien que nécessaire, mène parfois aux pires aberrations et qui, poussée à lextrême pour combler un déficit de la Sécu qui ne cesse de grandir, pourrait bien mettre un jour en danger la vie des patients. Ou quand le serpent se mord la queue
On sera aussi très étonné du ton hargneux adopté par le mari de lauteur dans sa post-face qui, lorsquil nest pas cinglant, se livrant à un dérisoire jeu de rôle («Mais, au fait, que signifie le mot transparence pour un bac +12 ? Rendre des comptes, être obligé dexpliquer ce que lon fait, sabaisser au niveau du malade ? Le patient sintéresse à la qualité de nos pratiques et demande quelles soient évaluées ? Et puis quoi encore ? De quel droit ?»), se montre carrément maladroit en jugeant pertinent de rappeler que le Conseil de lOrdre des médecins est «la dernière institution vichyste [
] à perdurer en 2004», ceci expliquant évidemment cela
Sans parler, de façon plus anecdotique, des interminables digressions biographiques (les antécédents gynécologiques de Béatrice Ceretti nauront plus de secret pour vous) qui ne manquent pas de pathos, accentuant le clash entre une vie pleine de bonheur dune jeune femme comblée et le long calvaire de cette même jeune femme amoindrie par la maladie, rongée par la dépression, isolée du monde par une souffrance sans fin. Lauteur aurait été pauvre, moche et sotte que son malheur en aurait-il été moins touchant ? Ce manque de sobriété dessert ainsi un témoignage qui se veut bouleversant mais flirte parfois un peu trop avec un discours racoleur extrêmement dérangeant. Dommage
Quant à la multiplication des associations de protection des malades dont se félicite lauteur, elle ne doit pas nous faire oublier que si lon a des droits, on a aussi des devoirs, au risque sinon de sombrer dans un assistanat délétère. Béatrice Ceretti offre néanmoins un ouvrage très bien documenté, qui retrace avec clairvoyance le laborieux historique de la lutte contre les infections nosocomiales dans les années 90, et conte la véritable révolution que fut la mise en place de bonnes pratiques dans les établissements de santé, avec contrôle de qualité et accréditations à la clef. Pointant du doigt le difficile dialogue entre les professionnels de santé et la population, et labsolue nécessité dun respect mutuel pour éviter la dérive procédurière, ce livre nest rien dautre quun appel à plus découte et dhumanité.
Océane Brunet ( Mis en ligne le 03/12/2004 ) Imprimer | | |
|
|
|
|