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La finesse littéraire d’une belle vulgarisation scientifique | | | Peter Atkins Le Doigt de Galilée - Dix grandes idées pour comprendre la science Dunod - Quai des sciences 2004 / 35 € - 229.25 ffr. / 435 pages FORMAT : 17x24 cm
Lauteur du compte rendu : Après un DEA dastrophysique et un DESS de communication et information scientifique à luniversité Paris 7 - Denis Diderot, Ludovic Ligot est à présent journaliste scientifique pigiste. Imprimer
Cette analyse érudite, toujours compréhensible et souvent amusante, de lhistoire de dix grandes idées de la science contemporaine, constituait un véritable pari. Malgré les limites dune telle entreprise, lauteur la gagné haut la main.
En ce début de troisième millénaire saturé par les technologies les plus diverses, la science fondamentale reste souvent pour le public un domaine réservé aux spécialistes et quelque peu abscons, pour ne pas dire rébarbatif. Lactuelle désertion relative des filières scientifiques, au profit dautres voies jugées moins difficiles et plus rentables, rend également bien compte de létat desprit ambiant. Pourtant, la science, au lieu de la froide abstraction quon imagine parfois, est surtout une grande aventure humaine, vécue par des êtres de chair et de sang et non par des cerveaux désincarnés, dont les progrès ou les errances dépendent en partie des personnalités qui la font. Cette aventure ne sest jamais déroulée «en ligne droite», engrangeant les découvertes à intervalles réguliers, mais a connu de magnifiques coups de théâtre. Lun des plus impressionnants, sans aucun doute, est le passage de la spéculation intellectuelle autosuffisante dédaignant les preuves tangibles, bien représentée par les écrits dAristote, à la méthode scientifique moderne, alliance permanente de réflexion et dexpérimentation. Galilée est souvent désigné comme son fondateur, au moins symboliquement.
Lambition de Peter Atkins, professeur de chimie et membre du Lincoln College de luniversité dOxford, est de donner au grand public une vision historique et globale de cette science en mouvement permanent, à partir de dix «grandes idées» fondatrices de la science moderne, cest-à-dire des «concepts simples mais de grande portée», englobant de vastes domaines dapplications. Cette ambition, rien de moins donc quun grand tour des plus importants domaines scientifiques à travers les siècles, a de quoi intimider le lecteur et le rendre perplexe a priori du résultat final. Mais pour en avoir le cur net, il faut juger sur pièce, comme on dit
Comment lauteur sy prend-il donc ? Son idée générale est de passer au fur et à mesure des dix chapitres «du familier au plus fondamental», donc de progresser par abstraction croissante, ménageant le lecteur au début et lui demandant des efforts ensuite. Si les chapitres sont supposés indépendants les uns des autres et lisibles dans nimporte quel ordre, il est tout de même nettement conseillé de suivre le plan établi, chaque nouvelle partie se référant aux précédentes et les mettant en perspective.
Pour donner une idée claire de lordre de progression, autant détailler les «grandes idées» en question. Au programme, nous avons donc : lEvolution (progressant par sélection naturelle) ; lADN (qui «code» lhérédité de la vie) ; lénergie (qui est conservée) ; lentropie (exprimant que tout changement résulte de leffondrement de lénergie et de la matière dans le désordre) ; les atomes (constituants de la matière) ; la symétrie (qui limite, guide et conduit lordre des choses) ; les quanta (les ondes se comportent comme des particules et les particules comme des ondes) ; la cosmologie (lUnivers est en expansion) ; lespace-temps (qui est courbé par la matière) ; larithmétique (cohérente mais incomplète). Aucun doute, le cahier des charges est impressionnant !
Mais le résultat, alors ? Et bien, on peut dire quil est assez surprenant de réussite, et ce grâce à plusieurs points essentiels. Tout dabord, il apparaît très vite que Peter Atkins nest pas seulement un scientifique pur et dur, nhésitant pas à brandir une profession de foi tranchée (il considère la science comme «la seule route vers la connaissance complète»), mais également un vulgarisateur brillant. Maniant la langue avec dextérité (cela reste assez rare dans ce type douvrage pour être souligné), il utilise de plus un humour typiquement british et old school qui sied bien à lhistoire des sciences. Il parvient donc à rendre non seulement compréhensibles, mais parfois amusantes, des notions pour le moins abstraites (symétries, entropie, quanta et tutti quanti). Ensuite, il ne sépare jamais les découvertes de lhistoire personnelle de leurs auteurs, multipliant les anecdotes apparemment hors de propos, mais qui rendent concrets et comme vivants ces scientifiques disparus, pour bien montrer toute limportance du contexte dans les uvres humaines. Enfin, il garde toujours un il critique vis-à-vis de la science ancienne ou moderne (se montrant sévère avec les «spéculations en fauteuil» dAristote, mais également très prudent sur labstraction croissante des théories actuelles) et noublie pas davouer sa propre partialité sur certaines questions. Ce genre dhonnêteté intellectuelle fait évidemment plaisir à voir. Bref, cest à se demander sil est possible de trouver à cet ouvrage le moindre défaut sérieux !
Osons tout de même le faire, car ce défaut existe bel et bien, même si lauteur navait peut-être aucun moyen de léviter. Au cours de la lecture, une question survient : quel est le lectorat visé ? La réponse, déjà mentionnée, semble évidente : le grand public, bien sûr ! Mais cette réponse floue nest quune façon de mettre la balle en touche. En effet, le lecteur possédant un bagage scientifique dans lun des domaines explorés, ou une culture scientifique générale, appréciera cette analyse éclairant dun nouveau jour ses connaissances universitaires, mais regrettera un certain manque de détails ici ou là, par exemple quand lauteur avoue avoir juste «effleuré» le domaine de la mécanique quantique. Quant au lecteur curieux mais manquant de bases scientifiques, il risque bien de trouver certains passages bien denses et ardus en dépit du talent de lauteur. Entre ces deux types, la voie nest pas forcément très large
En clair, cela signifie quune telle entreprise méritait largement dêtre déployée sur 600 pages ou davantage, au lieu dun peu plus de 400, mais un certain nombre de lecteurs potentiels auraient sans doute été effrayés ! Mais ne pinaillons pas : dans la limite du réalisme, Peter Atkins a largement gagné son pari.
Ludovic Ligot ( Mis en ligne le 21/03/2005 ) Imprimer | | |
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