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Des génies de chair et de sang
Etienne Klein   Il était sept fois la Révolution - Albert Einstein et les autres...
Flammarion - Champs 2007 /  7.50 € - 49.13 ffr. / 237 pages
ISBN : 978-2-08-120507-9
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication en mars 2005 (Flammarion).

L’auteur du compte rendu : Après un DEA d’astrophysique et un DESS de communication et information scientifique à l’université Paris 7 - Denis Diderot, Ludovic Ligot est à présent journaliste scientifique pigiste.

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En 2005, nous célébrions le centenaire des publications «miraculeuses» d’Albert Einstein, ayant marqué l’avènement de sa théorie de la relativité restreinte, ainsi que le cinquantenaire de sa mort, survenue le 18 avril 1955. Une occasion évidemment idéale pour se pencher sur la vie et l’œuvre du génial personnage, et les ouvrages qui lui furent consacrés affluèrent de toute part, à tel point qu’il semblait occuper à lui seul tout le terrain des célébrations ! Cet ouvrage d’Etienne Klein, physicien au Commissariat à l’Energie Atomique et vulgarisateur reconnu (Conversations avec le sphinx : les paradoxes en physique ; Les Tactiques de Chronos ; Petit voyage dans le monde des quanta…) permet d’élargir le panorama, en rendant justice à d’autres savants ayant révolutionné la physique entre 1925 et 1935, par la découverte des lois radicalement nouvelles de la physique quantique, celle de l’infiniment petit. Sans oublier tout de même le rôle précurseur de la révolution du temps et de l’espace introduite par Einstein, et ses discussions conflictuelles avec les apôtres de la nouvelle physique.

Outre le génial Albert, l’auteur nous présente six théoriciens d’envergure, aux tempéraments variés : George Gamov, l’un des pères de la physique nucléaire et précurseur de la théorie du Big Bang, un touche-à-tout bon vivant et farceur ; Paul Dirac, le découvreur de l’antimatière, qui parlait le moins possible et avec un minimum de mots ; Ettore Majorana, un Sicilien auteur de théories très avancées sur les neutrinos, solitaire et disparu en mer à l’âge de 31 ans ; Wolfgang Pauli, à l’origine d’un principe fondamental de la physique quantique, passionné de psychanalyse qu’il pratiquait avec Jung ; Paul Ehrenfest, grand théoricien mais trop modeste et torturé, qui finit par se suicider ; Erwin Schrödinger, découvreur d’une équation décrivant le comportement des ondes associées aux électrons, d’un naturel romantique et sensuel. Au total donc, sept génies choisis pour leur caractère et leur originalité, mais qui ont entretenu des relations suivies avec les autres grandes figures de la physique quantique, croisées au fil des pages : Niels Bohr, Werner Heisenberg, Enrico Fermi, Max Born, Louis de Broglie, Arnold Sommerfeld…

La réussite de ce livre, dont les chapitres peuvent se parcourir dans le désordre, est d’abord de ressembler à un roman historique à rebondissements multiples, non à une leçon de science. Etienne Klein enchaîne la description des concepts et des découvertes le plus clairement possible et de façon fluide, sans formules mathématiques obscures. De plus, il donne toujours une perspective historique à ces figures, en mettant en relation leurs travaux et les grands courants de pensée de leur époque. Pour prendre l’exemple le plus célèbre, les idées d’Einstein concernant la théorie de la relativité restreinte ne sont en rien «tombées du ciel» ; il ne s’agissait pas alors d’un pur esprit travaillant dans l’abstraction, mais d’un ingénieur lisant toute la journée des brevets où il était souvent question d’électromagnétisme et d’un problème qui préoccupait toute l’Europe, à savoir la synchronisation à distance de différentes horloges, comme celles des gares. Ce problème technique parfaitement concret se retrouvera au cœur de l’un de ses articles de 1905, où il s’avère que la synchronisation d’horloges immobiles reste possible, mais que ce n’est plus le cas pour des personnes en mouvement les unes par rapport aux autres ; le concept de temps en ressort bouleversé…

Autre belle réussite : la façon dont Etienne Klein mélange en permanence les faits strictement scientifiques et la biographie plus intime de ces génies, que l’on apprend à connaître sous un autre jour, comme des êtres humains de chair et de sang, complexes et étonnants, parfois tragiques. Avec pour exemple extrême Ettore Majorana, qui semblait construire des théories nouvelles aussi facilement qu’il respirait, mais incapable du bon sens qui permet de vivre au quotidien. Enfermé dans la méditation, parfois totalement coupé du monde, il a fini par disparaître mystérieusement en mer et son corps n’a jamais été retrouvé. Paul Ehrenfest, un grand ami d’Einstein, ne s’est jamais senti l’égal de ses pairs en dépit de l’importance de ses travaux, et la tournure abstraite prise par la physique quantique contribue à accentuer son état dépressif, jusqu’à son suicide en 1932, quelques mois avant l’arrivée des nazis au pouvoir. Beaucoup plus gai : le parcours atypique d’Erwin Schrödinger, dont le génie ne s’est révélé qu’à l’âge de 38 ans, et inspiré par les femmes comme on l’imagine mal de la part d’un scientifique «sérieux». On lui doit par exemple cette intéressante réflexion sur l’espace-temps : «Aimez une fille de tout votre cœur, et embrassez-la sur la bouche : alors le temps s’arrêtera, et l’espace cessera d’exister»…

Soyons optimistes : grâce à ce type de livre, le grand public parviendra peut-être à dépasser les a priori qu’il conserve sur les génies scientifiques, supposés détachés et abstraits… Il serait temps, en tout cas, de débarrasser la culture scientifique de ses mythologies réductrices et de faire ressentir davantage les passions humaines à l’œuvre, et Etienne Klein nous le fait savoir d’une belle manière.


Ludovic Ligot
( Mis en ligne le 18/06/2007 )
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