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Qui me parle ?
 Collectif   Chercheurs scientifiques & artistes - Vers une culture de la vie
Editions Complicités - Collection privée 2005 /  12 € - 78.6 ffr. / 80 pages
ISBN : 2-910721-70-1
FORMAT : 15 x 21 cm

Préface d'Étienne Magnien.

L’auteur du compte rendu : Diplômé en sciences politiques de la Woodrow Wilson School de Princeton, Timothy Carlson est rédacteur d'une e-lettre bihebdomadaire en langue anglaise sur la science et la politique de la science en France (www.france-science.org/fast). Il est également directeur d'un programme d'études pour étudiants étrangers. Il mène en parallèle une activité en communication, recherche et rédaction.

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Il est bien étrange qu’une publication abordant la démocratisation de la science apparaisse sous l'anonymat (sauf pour sa préface), assortie d'un avertissement de la Commission européenne et manifestement pilotée par cette dernière. En gros, la Commission n'est pas responsable des informations que contient un texte dont elle possède les droits et qui, par ailleurs, n'est attribué à personne…

Qui plus est, l'édition simultanément en trois langues par trois maisons distinctes – petites structures n'ayant aucun catalogue précédant dans ce domaine – d'un texte résumant le colloque tenu à Gênes en mars 2004 sur "Modern Biology and Visions of Humanity" a été vraisemblablement subventionnée par l'Europe, et cela malgré la publication, à la suite du colloque, des textes intégraux des interventions de cet évènement bien remarqué dans la presse.

Le mystère est troublant, surtout à l'heure où certaines méfiances à l'égard de l'Europe continuent à gagner les esprits, y compris ceux normalement pro-européens mais qui soupçonnent la technocratie européenne de vouloir noyer tout débat dans la communication. Si ce débat est désormais relégué au service de la simple communication, ce livre – préfacé par un eurocrate de la Commission de la Recherche, qui ne fait aucune allusion aux véritables rédacteurs de l'ouvrage – serait alors l’un des premiers produits d'un tel plan de restructuration.

Vers une culture de la vie ne relève néanmoins pas de la propagande pure ; il s’agit simplement d’un effort, assez intelligemment fait, de reformuler transversalement les richesses de cet important colloque. Mais pourquoi ? Dans quel but ? Et, surtout, qui nous parle ? Comme si le produit brut n'était pas assez vendeur et qu’il lui eût fallu un nouvel emballage, en une formule plus "lite". Les soupçons du lecteur sont paradoxalement justifiés par la discussion centrale de l'ouvrage sur la question de l'intégration de la science dans la culture, par laquelle le ou les auteur(s) mène(nt) une valse d'hésitations entre un scientisme conciliant, souriant, se voulant rassurant, en bref qui soigne son apparat mais entend rester seul pilote à bord, et un vrai débat sur la science comme aspect – parmi d'autres - du dispositif épistémologique de notre civilisation.

Une confusion règne aussi sur le fond quand ce texte, anonyme mais très construit, entrelarde son discours avec des longues citations des intervenants du colloque sans clairement distinguer sa propre position (avec qui ne suis-je pas d'accord ?) et ceci sans les placer dans le contexte de telle ou telle table ronde (qui n'est pas d'accord avec qui ?). Qui est cette source Q, auteur des passages qui structurent les citations ? Et pourquoi le programme du colloque et la liste des intervenants ne sont-ils pas fournis en annexes ?

Mais les questions relevées dans ce texte sont les bonnes, les intervenants, de haute volée, et ce colloque génois a fait date. Dés lors, ce petit ouvrage résumant, certes maladroitement, les positions des uns et des autres sur la place qui doit être celle de la science dans les connaissances ainsi que sur ses relations avec la politique, est incontestablement utile. Surtout du moment où le lecteur arrive à s'imposer en face du texte comme citoyen pensant et non pas comme client ou simple consommateur.

A travers trois chapitres («Diagnostics», «Dialogies», «Démocratie»), tous dans la poétique Bruxelloise, se dessine une sorte de psychothérapie contre la crise d'identité de ce que l'on appelle La Science. Mais dès le début, est trahi le premier principe de la psychothérapie : faire face au problème ; certains intervenants cités le nient, d'autres le clament, mais Q, quant à lui, n'en pipe pas mot explicitement. Mais crise il y a, et, c'est une bonne chose, ce petit livre a le mérite de soulever – parfois malgré lui - ces points principaux. Les fondements de la crise sont épistémologiques, un mot dont l'absence dans ces pages est assourdissante, car le grand siècle de la science comme reine des connaissances, succédant à l'ère théologique dirait un comtien, est terminé. Les nouvelles de cette fin sont lentes à se propager, comme une petite ride dans un grand lac, et encore en 2004 à Gênes, il y avait des scientifiques prêts à énoncer que "la science est objective et universelle" et que "la philosophie de la science ne sert à rien". Mais après un peu plus de cent ans de solitude sur la haut de la pyramide des connaissances, la - ou plutôt les – méthode(s) scientifique(s) peu(ven)t se soulager de nouveau de la compagnie d'autres formes de savoir, d'autres avenues de la découverte.

Hélas, faute de discours explicites à ce propos, la discussion ici sur la science et l'art ou sur la science et la culture ou encore la science et la politique, est tronquée, incapable de faire descendre la science de sa tour d’ivoire. Au lieu de cela, le lecteur a droit à des bondieuseries sur la différence entre la science (qui peut se tromper) et l'art (qui ne se trompe pas), ou le droit de regard d'une démocratie sur la politique de la science, le devoir de la science à servir la société... Et voici la science de nouveau sur son socle, même si vêtue cette fois-ci d'une infaillibilité un peu trouée. Q a raté le virage d'un vrai débat sur la primauté de la science comme éclaireur de la vérité, mais son texte n'est pas dépourvu de rappels importants. Par exemple, les sciences sociales et humaines sont souvent nécessaires pour interpréter les résultats des sciences naturelles, ou pour aider à gérer "les nouvelles incertitudes" qui accompagnent les avancées technologiques. (C'est à plus forte raison dommage que les effets délétères de la domination méthodologique, pendant au moins une siècle, des sciences naturelles sur les sciences sociales est passé sous silence.) Au début du chapitre "Démocratie", l'historien Eric Hobsbawm est cité pour rappeler l'enjeu de faire "de la science une des composantes de la culture" (ce qu'elle était, par ailleurs) – même si dans la phrase suivante la formule est réduite à "faire entrer la science dans le jeu politique". Le lecteur bénéficie aussi d'un compte rendu de ce qui devait être une excellente discussion à Gênes sur le type de consensus éthique possible dans un contexte multiculturel.

Sur d'autres aspects de la crise d'identité de la science, le lecteur est éclairé de la même façon équivoque. Sur la science et la technologie, le manque de différentiation entre science comme savoir et science comme savoir-faire fera beaucoup réfléchir. La science instrumentalisée est acceptée tacitement comme étant la science tout court, ce qui fausse la discussion sur la liberté de la science, la science comme danger, ou le droit de regard de la démocratie, et autres questions où le lecteur brûle de savoir si on parle de la science-connaissance-découverte ou plutôt de la technologie.

Un autre grand absent, qui nous guette entre les lignes : la science et son rapport à la métaphysique. Le réductionnisme a été sévèrement traité à Gênes, mais Q ne nous indique pas si le débat a poursuivi la question jusqu'à celle des limites de la science – seule – pour parler intelligemment des origines de la vie ou de l'univers, ou du rapport entre le cerveau et l'esprit, et autres mystères – voilà le mot tabou – sur l’Homme et son essence. Sans parler des soubassements éthiques à la pratique de la science…

Et finalement la science elle-même. Pourquoi si peu de références aux débats sur la nature de l'entreprise scientifique ? Comment discuter par exemple des contrôles démocratiques sur la science sans expliciter les nouvelles façons de l'appréhender, qui font l’objet aujourd'hui d'un riche débat. C'est peut-être cette dernière question-manquée qui illustre le mieux le choix qui confronte la science et ses champions : soit on continue de tenter de vaincre l'opinion depuis une position aussi banale et reçue qu’immuable, soit on s'engage dans un vrai débat avec tous les risques d'où, peut-être, sortiront de solides découvertes sur la science elle-même, le savoir scientifique dans tous ses états et tous ses contextes, éthique, social, philosophique, humaniste, technologique, démocratique, en tant que découverte, et d'autres encore.

Sans une Science qui accepte des partenaires de savoir, il n'y aura nulle "culture de la vie". Ce petit livre sert à illustrer – malgré lui ? – la nécessité d'un tel programme, tout en alignant un bon nombre d'aspects à traiter en la matière.


Timothy Carlson
( Mis en ligne le 09/01/2006 )
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