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Queer à n'y rien entendre
Teresa de Lauretis   Théorie queer et cultures populaires - De Foucault à Cronenberg
La Dispute - Le Genre du monde 2007 /  14 € - 91.7 ffr. / 189 pages
ISBN : 978-2-84303-113-7
FORMAT : 12,5cm x 20,0cm

Traduction de Marie-Hélène Bourcier.

L'auteur du compte rendu : Scénariste, cinéaste, Yannick Rolandeau est l’auteur de Le Cinéma de Woody Allen (Aléas) et collabore à la revue littéraire L'Atelier du roman (Flammarion-Boréal) où écrivent, entre autres, des personnalités comme Milan Kundera, Benoît Duteurtre et Arrabal.

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Dans une époque en plein bouleversement, où les repères valsent à tout va, après la révolte des minorités et la lutte contre les discriminations, il est normal de voir surgir d'autres revendications lorsque les précédentes ont été plus ou moins atteintes. C'est ainsi que les luttes des différents féminismes, le combat des associations homosexuelles, lesbiennes etc. ont débouché entre autres sur le phénomène queer.

Les trois textes composant ce petit livre de Teresa de Lauretis, universitaire italienne enseignant au États-Unis, auraient dû nous renseigner en détail et avec clarté sur un tel terme. On est en fait déçu d’en apprendre si peu. Le livre, à cet égard, manque cruellement d'une bonne base structurelle. Par exemple, le second texte, «Théorie Queer : sexualités lesbiennes et gaies. Une introduction», n'est qu'une compilation suivie d'un vague résumé des livres et des articles parus aux Etats-Unis principalement, qui ont trait à l'homosexualité, au lesbianisme et à la théorie queer. On n'en apprend pas plus. Parfois, c'est même incompréhensible, comme à propos d'un article d'une certaine Julia Creet, "Daughter of the movement" : "Avec le recul de l'âge et de la sagesse, l'article repose la question de savoir si le sadomasochisme lesbien est politiquement féministe à travers une méditation personnelle et théorique quant à la manière dont le féminisme fonctionne dans le scénario du fantasme lesbien s/m, suggérant que la popularité tenace du débat a beaucoup à voir avec la redéfinition du pouvoir au sein du féminisme et avec le pouvoir du féminisme en soi." (pp.120-121) (!)

Le troisième texte, intitulé «Culture populaire : fantasmes publics et privés : féminité et fétichisme dans M. Butterfly de David Cronenberg», n’est qu'une fastidieuse analyse du film du cinéaste. M. Butterfly, tiré de la pièce de David Henry Hwang, raconte l'histoire, en 1964, d'un comptable à l'ambassade de France en Chine (René Gallimard) qui tombe amoureux d'une diva (Song Liling). Des années plus tard, elle se révélera être un homme. L'histoire, tirée d'un fait divers, fondée sur l'ambivalence, tant psychologique qu'anatomique, nous renvoie au premier texte, intitulé «La technologie du genre», qui interroge plus réellement le sujet, même si l'on reste encore dans le flou. On voit qu'il y a la volonté dans la théorie queer de dépasser le concept de genre.

Queer est, à la base, un mot anglais signifiant «étrange» mais c'était une insulte à l'égard des homosexuels, lesbiennes, transsexuels. Par provocation, il fut récupéré par des militants homosexuels, transsexuels, transgenres, bissexuels, adeptes du BDSM, fétichistes, travestis et transgenres à partir des années 1980. Le terme sert de ralliement pour ceux qui ne se reconnaissent pas dans l'hétérosexisme de la société et cherchent à redéfinir les questions de genre. Si les origines du mouvement sont multiples, le mouvement gay et lesbien semble plus proche des queers que les féministes, même si certaines racines idéologiques de la théorie queer se trouvent dans le féminisme américain des années 1980.

Il y a donc dans la théorie queer la volonté d’abolir le genre sexué, de brouiller les sexes, si l'on ose dire, en allant de fait contre la réalité même, le genre obligeant à la différence sexuelle, inscrivant au cœur de chaque être un comportement assez distinct. Or, si le réel peu s'avérer insatisfaisant et imparfait, croire qu'on puisse le réécrire ne représente-t-il pas un danger ? L'opposition entre hétérosexuels et homosexuels est-elle aussi naturelle que celle entre hommes et femmes?

On retrouve là d'une autre façon les discours extrémistes et minoritaires des années 60 et 70. Que Teresa de Lauretis en réfère à Foucault, Althusser, et en général, aux penseurs "prestigieux" de mai 68 n'est guère étonnant en soi. Elle cite aussi Monique Wittig (1935-2003), théoricienne féministe et lesbienne, l'une des fondatrices du Mouvement de libération des femmes, des Gouines rouges, premier groupe lesbien constitué à Paris (1971). Celle-ci dénonçait la catégorie femme créée pour la domination hétérosexuelle-masculine. Elle pouvait écrire en 1978 : "La femme n'a de sens que dans les systèmes de pensée et les systèmes économiques hétérosexuels. Les lesbiennes ne sont pas des femmes." On ne peut pas mieux se ghettoïser ou transformer un texte en tract.

Le phénomène queer tente d'échapper non seulement à une quelconque normativité mais à une réalité de fait, qu'il y ait simplement des hommes et des femmes, des êtres sexués. Il semble, au sein de la société post-moderne et suite aux combats que leurs prédécesseurs ont menés, qu'une nouvelle lutte s'engage, encore plus ultra-minoritaire et déviante, pour abolir la différenciation sexuelle et établir même l'indifférenciation tout court au programme. Pourquoi ? Sans doute parce qu'elle est "dominante" aux yeux de Teresa de Lauretis. Vouloir s'en distinguer coûte que coûte est encore le signe qu'on est obsédé et inféodé au modèle de base alors qu'on croit s'en être libéré. Pour aller où ? Là est la grande question... irrésolue.

Obnubilé politiquement par cette réalité, on transforme cette dernière en insupportable instrument de coercition et d'oppression (politique) qui servira de marche-pied pour de futures revendications, etc. Teresa de Lauretis veut construire un idée de genre qui échapperait au sexuel, sans doute conduite par l'idéal hypermoraliste d'une vieille utopie sans sexuation précise, et sans plus d'oppression politique. Elle ne craint pas d'en appeler à la sagesse populaire, ce qui ne coûte pas cher : "Ce que montre donc la sagesse populaire, c'est que le genre n'est pas le sexe, un état de nature, mais qu'il est la représentation de chaque individu dans le cadre d'une relation sociale particulière qui préexiste à l'individu et présuppose l'opposition conceptuelle et rigide (structurale) de deux sexes biologiques." (p.45) Teresa de Lauretis pense même que cette notion de genre et ses dérivés (la maternité, l'écriture féminine, la féminité, etc.) sont un obstacle pour la pensée féministe, enfermée dans l'opposition universelle entre les sexes, rendant difficile pour elle les différences entre la Femme et les femmes, ou même dans chaque femme.

Outre la volonté d'abolir le trouble et l'ambiguïté provoqués par le sexuel et la différenciation sexuelle, donc de tout niveler et de tout indifférencier, il y a la volonté de tout organiser autour du lesbianisme ou du transgenre et de rentrer ainsi dans une rivalité mimétique effrénée avec le groupe que l'on a élu comme dominant, comme oppresseur, en l'occurrence l'hétérosexisme ou le masculino-centrisme (termes souvent employés). Opposition frontale classique pour prendre et ravir le pouvoir aux "dominants". Ce victimisme devient vite exaspérant. On se demande si le débat contradictoire existe chez de tels auteurs. Rappelons ce qu'écrivait lucidement Pier Paolo Pasolini, dans les Lettres luthériennes : "La tragédie des extrémistes consiste ainsi à avoir fait régresser une lutte qu'ils définissent verbalement comme révolutionnaire marxiste-léniniste vers une lutte civile aussi vieille que la bourgeoisie - essentielle à l'existence même de la bourgeoisie».

Au-delà du manque de clarté qui entoure ces trois textes, voilà un livre qui défend fort mal sa cause en s'indexant pour la énième fois sur la soi-disante oppression hétérosexiste. Mais pourquoi toujours se dénicher un ennemi pour vivre ce que l'on a à vivre ?


Yannick Rolandeau
( Mis en ligne le 05/10/2007 )
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