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Saudade
Sous le soleil de l'exil, entretien avec Sébastien Lapaque
2003 /  2.07 € -

Sébastien Lapaque, Sous le soleil de l'exil. Georges Bernanos au Brésil, 1938-1945, Grasset, 2003. 17 Euros.
ISBN : 2-246-63821-6


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A peine un an après la réédition de son "Bernanos, encore une fois", Sébastien Lapaque récidive en livrant le récit de l'épopée brésilienne de Georges Bernanos. En 1938, et alors qu'il rentrait à peine d'un premier exil à Majorque (Espagne), l'écrivain décidait en effet de quitter la France, en compagnie de sa nombreuse famille. Pourchassé par les dettes, il était surtout mortifié par l'ambiance politique des ces années d'avant-guerre. Pourquoi l'Amérique latine, pourquoi le Brésil ? Sébastien Lapaque explique l'itinéraire américain de Bernanos en remettant à l'honneur un genre littéraire un peu délaissé, l'enquête de terrain.

Vianney Delourme : Tout d'abord, on est un peu étonné que Bernanos, qui dans Les Grands cimetière sous la lune annonçait les massacres à venir en Europe, ait pris le chemin de l'exil à l'aube de la guerre... Pourquoi ?

Sébastien Lapaque : Il répond lui-même à plusieurs reprises. «Je suis parti pour cuver ma honte». La prise de distance, l'exil - au sens presque biblique d'exode - fut pour lui une nécessité. Songez à la position paradoxale qu'il occupait : un écrivain catholique et royaliste ayant dénoncé le fascisme, la répression franquiste et la compromission du clergé !
«L'Europe est un nid de vipères» , avait soufflé Georges Sorel au jeune Bernanos dans les années 1910. C'était plus vrai que jamais à la veille des accords de Munich, où plus aucune parole libre ne semblait admise. L'affrontement entre réactionnaires et progressistes était piégé. Tous trahissaient la même soumission à la force, la même fascination pour les régimes totalitaires. Les droites avaient brocardé les Grands cimetières, mais ceux qui, à gauche, avaient applaudi ce livre, croyaient pouvoir glorifier Staline. En de telles situations, un écrivain, pour rester libre n'a pas d'autre solution que de partir. C'est une décision moins contradictoire qu'on ne le croit. «On ne reprend bien que ce qu'on a quitté sans retour» , explique un personnage de Monsieur Ouine. Pour rester français, Bernanos n'a pas eu d'autre solution que de prendre en considération autre chose que la France : l'honneur, la pitié, la poésie, la foi. Il voulait en trouver une image neuve dans le regard des hommes libres.

Vianney Delourme : Et pourquoi ce choix de l'Amérique latine, et plus encore celui du Brésil plutôt que les contrées castillanes ?

Sébastien Lapaque : A l'origine, c'est au Paraguay que voulait s'établir Bernanos. Il rêvait depuis l'enfance de ce pays dont le nom et la situation géographique l'émerveillaient. Il admirait l'esprit d'aventure des pionniers partis à quelques centaines de la Vieille Europe pour s'installer sous la Croix du Sud. Il était attiré par les contrée où les Espagnols avaient étendu l'empire de la «chevalerie du divin» . Roger Nimier a eu raison de surnommer Bernanos le «Grand d'Espagne» . Dans les fidélités et dans les colères de l'auteur de La Joie, on retrouve quelques unes des splendeurs de l'âme espagnole. Mais ces splendeurs, que Bernanos est allé traquer à Majorque (1934-1937) puis au Paraguay (août 1938), l'ont effrayé. Trop de violence, de sang et de morts. Ce n'est qu'au Brésil, ce pays qu'il ne cherchait pas, dans lequel il s'est installé un peu par hasard après avoir échoué au Paraguay, qu'il a réussi à se faire une nouvelle patrie. Le caractère lusitain, enrichi par l'imaginaire indien et le mystère des dieux africains, s'accordait aux secrets de son âme. Il partageait sa mélancolie, son mélange de tristesse et de joie.

Vianney Delourme : On a le sentiment que Bernanos cherche à tourner la page de ses années d'Action française, de ses échecs français et dans le même temps, l'aventure brésilienne semble répondre à ses rêves d'enfant. Donc, l'aventure brésilienne est en concordance avec son âme, voire même un retour aux origines !

Sébastien Lapaque : Après le desengano, la désillusion éducatrice familière aux apprentissages portugais, ce retour aux origines est la définition même de la saudade, mélancolie proprement lusitaine, qui est à la fois regret de ce qui n'est plus et attente de ce qui sera, manière de retour vers le futur du passé. Chez Bernanos, la saudade est la nostalgie d'un roi perdu et de la terre natale. Elle est aussi, elle est surtout ce grand sentiment de l'absence qui habite certains livres de sa période brésilienne : Les Enfants humiliés, la Lettre aux Anglais, le Chemin de la Croix des Âmes. Voilà pourquoi l'exil était nécessaire à Bernanos : pour continuer à aimer la France sans s'en faire une idée fausse au moment de la capitulation, de la défaite et de la honte, le romancier à eu besoin d'éprouver son absence.

Vianney Delourme : Comment est reçue la voix bernanosienne au Brésil ?

Sébastien Lapaque : A l'époque où Bernanos pose le pied en Amérique latine, la maison France est un plus qu'une simple raison sociale. Un écrivain français, quel qu'il soit, est formidablement accueilli au Mexique, au Brésil ou en Argentine. André Maurois, Roger Caillois et Jean Guéhenno ont eu l'occasion de le constater. Les salles de conférence et les théâtres furent pleins pour venir les écouter s'exprimer en français. Bernanos bénéficie lui aussi de cet accueil chaleureux. Il en est à la fois surpris et percé jusques au fond du coeur. Au Brésil, l'auteur de Sous le soleil de Satan ne fut jamais isolé. Ainsi lorsqu'en février 1942, Stefan Zweig est venu lui rendre visite dans sa maison de la Croix-des-Ames. Une rencontre dont j'ai retrouvé le dernier témoin comme je le raconte dans mon livre.

Vianney Delourme : Comment a-t-il contribué à défendre l'esprit de résistance français depuis le sertão brésilien ?

Sébastien Lapaque : Son fils Jean-Loup rapporte qu'il était aux côtés de son père dans un hôtel de l'avenida Afonso Pena de Belo Horizonte, lorsqu'il ont entendu à la radio l'appel du général de Gaulle, le 18 juin 1940. Certains ont mis en doute ce témoignage. Je crois qu'il n'y a aucune raison de le faire. La correspondance de Bernanos établit bien qu'il avait pris connaissance de la sédition gaulliste au début du mois de juillet. Du 18 juin, l'écrivain se souviendra dans un article publié dans La Marseillaise de Londres et La France Nouvelle de Buenos Aires en 1943 : «Le 18 juin 1940 est ce jour où un homme prédestiné que vous l'eussiez choisi ou non, qu'importe ! L'Histoire vous le donne, a d'un mot, d'un mot qui annulait la déroute, maintenu la France dans la guerre. Français, ceux qui essaient de vous faire croire que ce jour et cet homme n'appartiennent pas à tous les Français se trompent ou vous trompent. Ralliez-vous à l'Histoire de France !» Même s'il refusa d'appartenir aux organisations officielles de la France Libre, Bernanos fut très attaché au général de Gaulle, «ayant dès le premier jour reconnu et acclamé le soldat maintenant légendaire auquel chaque Français digne de ce nom a remis son espoir, son honneur et sa vengeance».

Vianney Delourme : Tu écris que «le Brésil l'a accaparé, il s'est familiarisé avec sa tristesse». Cette imprégnation (sébastianisme, mélancolie du saudade, etc.) – qui apparemment ne s'est pas faite du jour au lendemain –, comment s'est-elle manifestée ?

Sébastien Lapaque : Bernanos n'avait pas l'âme dogmatique. Il ne théorise pas son attachement au Brésil, il ne cherche même pas à en donner le manifeste, comme Stefan Zweig dans le Brésil, terre d'avenir (Le Livre de Poche). Mois après mois, il se contente de le faire sentir à ses lecteurs dans ses articles publiés en portugais dans les journaux de Rio de Janeiro. Son seul vrai livre brésilien, ce sont les Enfants humiliés (Folio), son journal de Pirapora, plein de descriptions magnifiques, de notations sur le cycle des saisons, d'évocations familières. Un de ses plus beau livres.

Vianney Delourme : Tu n'évoques pas beaucoup la famille de Bernanos - et notamment sa femme. Peux tu revenir sur ce point ?

Sébastien Lapaque : Le corps d'un écrivain, c'est son oeuvre. Je voulais d'abord partir de celle-ci avant de m'intéresser à des aspects plus anecdotiques. J'ai longuement parlé du dernier chapitre de Monsieur Ouine, rédigé au début de l'année 1940, à Pirapora, au pays des tatous joueurs et des perroquets colorés. Ces aspects créateurs sont les plus importants. Mais je peux dire quelque mots de la famille de Bernanos. Jehanne Talbert d'Arc, sa femme, descendait en droite ligne du frère de Jeanne d'Arc (comme l'épouse de Michel Déon) et le romancier possédait un brevet établissant cette filiation. Elle a suivi sont mari dans ses tribulations, avec ses six enfants, et ils semblent qu'elle lui ait été très attaché. Pour ce qui est des enfants, ce fut plus compliqué. L'écrivain, qui n'avait pas été heureux au collège, rêvait pour eux d'une éducation libre et hardie. Cet anarchiste chrétien ne voulut pas les inscrire au lycée français de Rio. «Tous donnaient l'impression d'être livrés à eux-mêmes, confiés à la Sainte Providence du Seigneur dans une totale liberté de conduite», m'a rapporté un témoin. La mise en oeuvre de cette utopie pédagogique ne fut pas reposante. Les enfants Bernanos n'ont jamais été des enfants comme les autres, entraînés en Espagne et au Brésil aux côtés de leur père, habitués à des querelles qui n'étaient pas toujours de leur âge.

Vianney Delourme : Comment Bernanos espérait-il nourrir cette troupe ? Ses espoirs de reconversion paysanne ont-ils porté leurs fruits ?

Sébastien Lapaque : A l'origine, son ambition était vraiment de nourrir sa famille grâce aux revenus de son exploitation ! Il rêvait de terres, de bétail. Il en avait assez d'être pris pour un homme de lettres. Comme William Faulkner, il voulait une qualification plus simple : farmer (ou plus exactement fazendeiro). A Pirapora, à 800 kilomètres de Rio, à l'extrême limite du Minas Gerais, sur les bords du São Francisco où il est arrivé en juin 1939, il a acquis 5000 hectares, 280 vaches, boeufs, veaux, taureaux et 8 chevaux. Ce fut naturellement un désastre et très vite Bernanos fut obligé de se remettre à écrire pour faire vivre les siens. On s'improvise difficilement fermier à 50 ans !

Vianney Delourme : Ses pérégrinations, de maison en maison, d'échec en échec, sont pathétiques, et dans le même temps, lui confèrent un je-ne-sais quoi de bernanosien, comme si sa voix portait mieux dans la pauvreté ?!

Sébastien Lapaque : Encore une fois, je ne peux pas mieux faire que de le laisser parler lui-même. Ainsi lorsqu'il quitte sa maison de Juiz de Fora pour s'installer dans une fazenda plus grande, à Vassouras, en février 1939. «Ça y est ! nous avons encore changé de maison. J'ai eu un moment de découragement, ces temps-ci. Je me disais que ce serait toujours la même chose. Et puis j'ai compris qu'il fallait que ce soit toujours la même chose, qu'une certaine douceur de vivre me serait sans doute mortelle. L'eau amère est ce qu'il me faut.»

Vianney Delourme : Pourquoi Bernanos est-il rentré en France ? S'illusionnait-il sur les lendemains de victoire ?

Sébastien Lapaque : «Bernanos, votre place est parmi nous», lui avait fait savoir le général de Gaulle par télégramme, le 26 janvier 1945. «Vous ne savez pas qui sont ces gens», l'avait prévenu son ami Austregésilo de Athayde. La mystique gaulliste était prête à se corrompre en politique gaulliste, et sans doute Bernanos le pressentit-il. Mais il voulut rentrer après sept année d'un long exil, pour qu'on ne puisse pas dire qu'il avait fait défaut à l'heure décisive.
Il embarqua à Rio sur un bananier hollandais le 2 juin 1945. «Son visage était baigné d'une sueur froide», a rapporté son ami Pedro Octavio Carneiro da Cunha. Bernanos a sans doute ressenti une grande tristesse en mettant ainsi un point final à son aventure brésilienne. Heureusement, celle-ci s’est prolongée grâce à son fils Michel, à ses filles Chantal et Claude, à sa petite-fille Marie-Madeleine, la fille de Michel qui vit aujourd’hui à Rio, aux enfants de Chantal — Claudio, Sergio, Vania, Eduardo, Katia, Nadia —, à ceux de Claude — Pilar, Chantal, Jean-Michel, Dominique. Et aux enfants de ces enfants, arrières petits-enfants brésiliens de l'écrivain dispersés entre l'Équateur et le Tropique du Capricorne, à Rio de Janeiro, Belo Horizonte, Lambari, Formiga, Campo Grande, Bonito. Ces descendants brésiliens de Bernanos sont aujourd’hui plus nombreux que les français !



Propos recueillis par Vianney Delourme
( Mis en ligne le 13/03/2003 )
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  • Bernanos encore une fois
       de Sébastien Lapaque

    Ailleurs sur le web :
  • Lire le premier chapitre de Sous le soleil de l'exil sur le site des éditions Grasset
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