Eric
Fottorino Korsakov
Gallimard - Blanche 2004 / 2.98 € - 19.50 ffr. / 475 pages
ISBN : 2-07-074746-8
FORMAT : 14x21 cm
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Eric Fottorino nous livre un roman en trois teintes : celle bleuâtre et glauque du Bordeaux des années cinquante, où «le petit» vit une enfance terne mais non sans beauté au sein d’une famille tarabiscotée, les Ardanuit, la vieille grand-mère bigote à la morale scrupuleuse parfois dangereuse, Lina, la maman cahotée d’un homme à l’autre, le père du petit n’étant que l’un d’eux, médecin juif chassé par une grand-mère trop catholique, Louis, l’oncle fleuriste pédéraste et mélancolique, Gilbert, ex-taulard adopté par la vieille, non moins mélancolique, hélas… ; la teinte orangée et chaude d’un Palerme plus contemporain, où un médecin spécialiste de la mémoire, frappé du syndrome de Korsakov – pathologie voisine d’Alzheimer par laquelle la mémoire assaillie se trouve remplacée par des fantasmes, une vie imaginée – tente de se rappeler son enfance bordelaise, son adolescence au sein d’une famille tunisienne, les Signorelli, auxquels sa mère s’amarra un temps avec son petit enfin adopté, et le temps plus récent d’une vie de famille elle aussi chaotique, famille recomposée où le brillant neurologue, ancien fils abandonné, faillit à son tour dans sa mission paternelle ; et puis, la teinte d’un blanc solaire, sablée et ocre, celle du schot tunisien, où Fosco Signorelli, notable local, fait face à l’indépendance, pour finalement s’exiler vers des latitudes plus amènes, la Gironde qui lui offrira un petit-fils, François Ardanuit, rebaptisé Signorelli.
Trois tons pour trois temps dont on devine les accointances, le tout formant un roman ample qui aurait pu être une trilogie, une épopée romanesque dont les trois goûts si distincts, bien qu’amalgamés, ont chacun une saveur inoubliable. Tout comme l’un de ces plats de l’«autre rive», dans lesquels chaque épice, à la senteur vive et particulière, n’empêche pas, mêlé à d’autres, de rendre un ensemble les transcendant tous avec respect et harmonie.
Un roman métissé donc, créant des pièces rapportées de lieux et de temps divers une beauté singulière. Il est ici question de la mémoire et de sa compagne, l’identité : identité d’un orphelin recomposant son être à partir des souvenirs d’un grand-père héroïsé ; celle d’un pays conquis par Bédouins, Maltais, Siciliens et Français, avant de retourner dans son giron arabe ; celle d’un homme à la mémoire malade, cherchant dans des preuves d’autrefois qui il fut et qui il est… Mais aussi un mélange des références : au Bordeaux d’un siècle à son mitan, rappelant le Petit Nicolas de Sempé et quelques clichés à la Doisneau succède l’ambiance plus tragiquement contemporaine de Palerme (mafia, divorce, solitude), puis, passé le souffle d’un Sirocco, la chaleur parfumée d’un pays lointain, pris dans l’étau tragique de l’histoire.
Ces virages ne déroutent pas. Au contraire, ils tracent un chemin sûr et, paradoxalement, rectiligne, que l’on aimera suivre. Ajoutons que la langue est sublime, touchante, poétique et légère, grave aussi quand il le faut, et l’on ne pourra que s’étonner si, cet automne, ce roman-là n’obtient pas un beau prix…
Bruno Portesi
( Mis en ligne le 27/08/2004 )
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