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La littérature multiforme |
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Simon
Leys Protée et autres essais
Gallimard 2001 / 2.13 € - 13.92 ffr. / 160 pages
Renaudot Essai 2001
ISBN : 2070762831
FORMAT : 140x205
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Simon Leys partage avec un Julien Gracq ou un Michel Déon (pour Houellebecq, on attendra encore un peu), le statut de "sage des lettres" retiré depuis de longues années de l'agitation germanopratine. Ce brillant sinologue qui s'illustra en dénonçant avec vigueur les dérives meurtrières du communisme chinois (Les Habits neufs du président Mao, 1971) vit en effet en Australie, où il cultive en dilettante - c'est-à-dire avec passion et patience - son amour de l'art, de la littérature et de la Chine.
Qu'un auteur aussi subtilement marginal, rétif à tout étiquetage, intitule son nouveau livre Protée n'a, finalement, rien pour surprendre. Car c'est bien au spectacle d'une pensée en mouvement, ductile et changeante, ouverte à toutes les digressions, que Leys convie son lecteur. Quitte à commencer par un clin d'oeil : une mise en garde contre les charmes pernicieux des ouvertures de romans - et, plus précisément, de leur première phrase, de plus en plus travaillée à la façon d'une "accroche marketing", quitte à tromper sur la marchandise... Qu'on se rassure : dans les trois articles qui succèdent à cette joyeuse entrée en matière, l'intérêt ne faiblit à aucun moment.
Chaque texte traite d'un monstre sacré de la littérature : Cervantès, Victor Hugo et André Gide, le "protée" qui donne son titre au recueil. Comment aborder frontalement ces trois imposantes statues du commandeur ? Plutôt que de s'y risquer, Leys préfère l'approche par la bande. Du Don Quichotte, il choisit de traquer les empreintes qu'il a laissées dans l'oeuvre de Montherlant, de Vladimir Nabokov ou du critique et poète américain Mark Van Doren. Le monument hugolien, il le scrute à l'ombre d'un autre monument, sa gigantesque biographie par l'Anglais Graham Robb. Même méthode, enfin, appliquée à Gide, puisque c'est autour du André Gide : A Life in the Present d'Alan Sheridan que s'élabore le "Petit Abécédaire" qui clôt le livre.
Le fil conducteur entre ces quatre études ? Un amour immodéré de la littérature et une prose à l'image de la pensée leysienne : limpide et élégante. Simon Leys a l'art de cerner avec légèreté quelques points essentiels trop souvent noyés par les travaux universitaires : le conflit entre fantasme et réalité décalqué de Don Quichotte sur son créateur ; la virulente modernité par laquelle Hugo se réconcilie avec Baudelaire ; la ridicule surestimation littéraire dont bénéficie toujours Gide, même si les Nourritures terrestres, aujourd'hui, "ne nous rappellent rien tant que le kitsch de Khalil Gibran"...
On sourit, on rit même, à la lecture de ces quatre courts textes où chaque phrase touche juste. Leys réinvente une critique littéraire inactuelle où l'admiration, l'ironie et la pique acerbe coexistent en toute harmonie. En ces temps de pamphlets haineux et de stériles querelles de chapelle, on finissait par douter que ce fût encore possible...
Pierre Brévignon
( Mis en ligne le 29/10/2001 )
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