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La psychopathologie est-elle soluble dans la sociologie ?
Muriel  Darmon   Devenir anorexique
La Découverte - Textes à l'appui 2003 /  3.48 € -  22.80 ffr. / 350 pages
ISBN : 2-7071-3910-6

L'auteur du compte rendu: Antoine Bioy est psychologue clinicien et enseignant en psychologie. Il est auteur de plusieurs ouvrages, dont récemment Se former à la relation d'aide, paru chez Dunod (2003).
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Muriel Darmon est docteur en sociologie et chargée de recherche au CNRS, dans le groupe de recherche sur la socialisation. Elle nous invite dans cet ouvrage à découvrir son travail de thèse de doctorat en sociologie. Un travail surprenant, et disons-le d’emblée, d’une grande rigueur méthodologique et analytique.

Le titre de l’ouvrage, Devenir anorexique, bouscule l’ordre établi, puisque jusqu’à ce travail, l’anorexie était un objet de recherche exclusif du domaine de la psychopathologie et de la psychiatrie, une sorte de chasse gardée. L’auteur relate d’ailleurs les réactions surprises, voire condescendantes, du milieu médical à l’annonce du sujet de sa recherche. Comment pourrait-on «devenir anorexique», puisqu’il s’agit d’un trouble des conduites alimentaires, d’un tableau clinique pathologique témoignant d’une certaine structure de pensée ? Pour autant, si des patients sont anorexiques, c’est bien qu’ils le sont devenus. On ne naît pas anorexique. Et là intervient le tour de force de Muriel Darmon : considérer que ce devenir est objet d’étude en sociologie, faire de l’anorexie un «fait social».

Certes, l’approche n’est pas inédite. En 1897, Émile Durkheim avait ouvert la voie en faisant du suicide, là encore apanage de « la psy », un fait social. Muriel Darmon renouvelle cette approche, avec beaucoup d’à-propos. Le normal et le pathologique redeviennent objets d’étude, et l’auteur pose d’emblée la question de savoir quel est le processus qui définit un comportement déviant, et analyse le cadre de cet étiquetage. Sa méthode est clinique, au sens littéral du terme («au chevet du patient»). Muriel Darmon mène des entretiens avec des femmes anorexiques ou anciennes anorexiques, dans divers lieux de soins. Elle intervient lorsqu’un diagnostic a été porté, c’est-à-dire lorsque
l’étiquetage a eu lieu.

La première partie de l’ouvrage, savoureuse, revient sur le cadre de cette stigmatisation avec les différentes «cultures» de service. En effet, si l’anorexie possède une histoire dans le champ de la médecine et de la psychopathologie, si la «bible» du diagnostic psychiatrique (le DSM) en donne des critères précis, sur le terrain, l’étiquetage obéit à données bien plus subjectives (l’apparence physique, l’interprétation du discours des patients…). Par ailleurs, l’auteur montre que le discours médical va faire tache d’huile sur le discours des patients, avec la construction a posteriori d’une vérité qui suit un comportement ayant une signification initiale différente pour les patients. Les anorexiques «intègrent» le discours médical, elles revêtent le manteau diagnostic qui leur est porté, parfois bien lointain du sens premier qui les a conduits à «devenir anorexique».

Dans un deuxième temps, l’auteur s’interroge sur les actes qui jalonnent la vie de l’anorexique «en devenir». Elle part à la recherche des «faits», toujours au travers du discours des patients, selon la méthodologie choisie. Muriel Darmon décrit quatre temps forts : l’engagement avec la question de l’origine du comportement anorexique ; la perduration de l’engagement ; le maintien de l’engagement malgré les signaux d’alerte et enfin la prise en charge institutionnelle. Il s’agit là de la «carrière» de l’anorexique, terme désignant ici le processus de mise en actes par les individus de ce qu’ils sont, justifiant que la sociologie puisse se livrer à une analyse. Car la question qui sous-tend la réflexion de l’auteur devient progressivement la suivante : «que faut-il qu’elles soient pour faire ce qu’elles font ?» Autrement dit, qu’est-ce qui, chez cette population, guide vers une déviance qui sera scellée in fine par un diagnostic médical ?

Muriel Darmon y apporte différentes réponses. L’intéressant de cette réflexion est notamment qu’elle rejoint parfois les constatations psychopathologiques, comme la recherche d’excellence en guidance de la dynamique psychique des anorexiques. Mais pour autant, l’éclairage est inédit, puisque l’auteur lie cette acuité de l’excellence aux représentations que les sujets en ont, et met l’accent notamment sur le fait que différents acteurs sont présents dans le processus du devenir de l’anorexique (parents, amis, institutions médicales…). Il existerait ainsi un «espace social» de la carrière anorexique, objet d’étude du troisième temps de l’ouvrage. Que cet espace soit «accueillant» ou «résistant» (comme les stratégies d’opposition à la «chose anorexique» par certains services et soignants), force est de constater qu’il existe une vraie dynamique entre l’anorexique, ses actes, et les milieux où ces actes s’inscrivent.

Devenir anorexique est le récit scientifique du travail de transformation de soi de ces patientes, qui s’inscrivent dans un processus de déviance. La première déviance est celle qui s’établit par rapport au poids, la carrière anorexique commençant par un régime. Transformation de soi physique, psychique mais également sociale. Muriel Darmon a choisi, pour l’étudier, une grille d’analyse clinique qui se situe au niveau des pratiques et des actes posés par les anorexiques. Elle met en lumière trois grands principes qui construisent la carrière de l’anorexique : les dispositions internes, les dispositions externes (les institutions), et l’entraînement social des interactions. Elle réussit à démontrer «comment la société œuvre dans l’ouvrage de soi», et justifie un peu plus dans ses conclusions la validité de l’approche sociologique dans un objet d’étude relevant de la stricte psychopathologie jusque-là. On s’incline bien volontiers devant le tour de force de l’auteur, et sa démonstration brillante.

Seul espace laissé vierge par l’auteur, celui de la souffrance des patientes. On peut en effet formuler l’hypothèse qu’à l’intérieur des dispositions des patientes que nécessite l’inscription dans une «carrière d’anorexique», la souffrance peut être vue comme un moteur important. Souffrance originelle pour un «corps ennemi», souffrance de ne pas être ce qu’elles souhaiteraient, souffrance de devoir lutter contre un environnement bien souvent perçu comme hostile, inhospitalier et non compréhensif, et bien sûr souffrances physiques qu’elles s’imposent. Cette souffrance aurait sans doute pu constituer une dimension de la réflexion de Muriel Darmon, tant elle peut être perçue comme un vrai élément dynamique du parcours des anorexiques, voire l’objet de leur perdition, la mort étant un devenir possible à cette souffrance lorsqu’elle ne trouve pas de voie de régulation satisfaisante. C’est d’ailleurs la souffrance de l’anorexique qui est l’objet des prises en charge médicales que décrit l’auteur.

C’est donc sur ce point que l’on aurait souhaité que l’auteur aille plus loin, fasse de son ouvrage autre chose qu’une explicitation de recherche doctorale, et retourne au final à un questionnement clinique. En effet, Muriel Darmon décrit avec acuité les liens complexes entre les patientes anorexiques et le monde médical, entre fascination, nécessité de prise en charge et répulsion. Les incohérences diagnostiques sont soulignées, tout comme la dimension subjective latente à la vie d’un service et des humains qui la peuplent, patients comme soignants. La difficulté des prises en charges est un fait évident, avec des paradoxes institutionnels qui posent problème. Ainsi, est relaté le cas des patientes en instituts médico-éducatifs. Un dilemme est mis à jour : les anorexiques investissent massivement les études (exigence de la perfection qu’elles s’imposent). Du coup, les résultats scolaires sont vus non pas comme une réussite louable, mais un signe pathologique, donnant lieu à des résistances institutionnelles, un parasitage de l’acte éducatif que l’on voudrait sacrifier sur l’autel d’un retour à une certaine normalité.

Ces situations ne sont pas sans poser question. L’ouvrage de Muriel Darmon met en exergue les incohérences du système, et met ainsi en relief la nécessité de repenser toute la structure des soins et l’approche à avoir de l’anorexie. Mais, assez curieusement, cette question n’est pas directement soulevée. Certes, elle n’aurait pu avoir sa place dans un travail de thèse, guidé par un objectif de recherche strict. Mais dans le cadre d’un ouvrage, la question aurait sans doute méritée d’être réfléchie. De la même façon, le travail de l’auteur conduit à se demander s’il serait possible de dégager des prodromes anorexiques, c’est-à-dire des signes cliniques annonciateurs de la pathologie à venir puisqu’une anorexique est avant tout quelqu’un qui est «devenu anorexique». Cette maturation nécessite un temps «de formation», ou peut-être un travail serait possible, s’engageant bien avant que «l’incendie» soit déclenché et si difficile à éteindre.

Ces critiques ne doivent pas venir occulter le fait que l’on est en présence d’un ouvrage passionnant et inédit, au moins dans son approche. Certes, Devenir anorexique relate une recherche complexe, mais le style employé permet une lecture instructive à quiconque s’intéresse à l’anorexie, même s’il n’est pas sociologue. Par ailleurs, la recherche relatée souligne combien une méthodologie clinique, qui s’appuie sur le seul discours des patients, peut être riche d’enseignements, à l’heure où les sciences humaines sont de plus en plus fascinées par la simple statistique. Et après tout, si l’on peut regretter que Muriel Darmon ne retourne pas à la clinique en fin d’ouvrage, c’est sans doute que son objectif est atteint : susciter interrogation, réflexion, et surtout arriver à questionner avec grande intelligence l’approche médicopsychologique, sans jamais la dénigrer. En un mot, Devenir anorexique est un ouvrage qui mobilise bien au-delà du champ sociologique. L’écueil de la simple description épidémiologique est évité, pour donner un ouvrage majeur traitant d’un sujet aigu. Un tour de force, on vous dit !


Antoine Bioy
( Mis en ligne le 29/09/2003 )
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