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Littératureet Romans & Nouvelles  

Blond cendré
de Eric Paradisi
JC Lattès 2014 /  18 €- 117.9  ffr. / 248 pages
ISBN : 978-2-7096-4750-2
FORMAT : 13,0 cm × 20,5 cm

Les morts parlent aux vivants

Voici un roman de rentrée intense, émouvant, qui évoque la tragédie juive pendant la Deuxième Guerre mondiale. Un de plus ? Oui, mais celui-ci est original et onirique dans son ambiance et son déroulement. Est-on au cœur de la vie ou de la mort ? La frontière n’est pas toujours très nette.

Dans les années 43-44, les Allemands intensifient leur lutte avec le débarquement à Naples des Alliés qui sont en mauvaise posture à Monte Cassino. A Rome, Alba, une jeune fille aux cheveux blond cendré, milite dans la résistance de la «Bandière Rossa» (drapeau rouge) communiste et rencontre par hasard Maurizio, jeune coiffeur juif qui vit au ghetto. Ils s’aiment pour le peu de temps qu’il leur reste à vivre ensemble.

«Un soir de la fin novembre 1943, elle rentra après le couvre-feu, les yeux rougis de larmes. On avait découvert l’imprimerie clandestine du journal «Italie Libre» et interpellé quatre personnes dont Léone Guinzburg». Après la mort de l’éditeur et journaliste, décédé sous la torture, son épouse Natalia Guinzburg, écrira Les Mots de la tribu, un petit récit autobiographique sur la situation de cette famille d’intellectuels juifs italiens. Le 23 mars 1944, Alba est incarcérée et torturée, pendant que Maurizio est envoyé dans le camp de concentration de Birkenau. Il survit difficilement en devenant barbier de sa baraque et sans jamais renoncer à Alba.

De nos jours, Flor, la petite-fille de Maurizio, raconte cette histoire par la pensée à son fiancé. Alba a fait partie du dernier convoi pour les camps et Maurizio reconnaît son corps parmi ceux qui doivent être brûlés. En revenant de la guerre, il s’exile en Argentine pour essayer d’oublier son grand amour et réussir une nouvelle vie. Il fondera un foyer et sera le coiffeur le plus célèbre de Buenos Aires.

Mais un soir glacial de neige, pendant que Flor raconte cette histoire, elle meurt aussi, asphyxiée dans l’incendie de son appartement à Paris. Par-delà la mort, elle continue son récit en faisant le parallèle entre les deux situations. Elle entremêle les deux drames, Alba, brûlée dans la cheminée du camp, et Flor, anéantie dans l’incendie. L’histoire universelle se superpose à l’histoire intime. Le drame se répète tragiquement. «Tu sais maintenant que comme grand-père devant le corps d’Alba, tu n’auras pas le courage de me suivre. Tu sais qu’un sentiment plus fort que moi t’oblige désormais à vivre. C’est peut-être ça l’amour, quelque chose qui t’oblige à vivre». Le grand-père et le fiancé sont confrontés à la même situation dans des circonstances différentes et doivent trouver en eux-mêmes la force de continuer à vivre. Les thèmes de la guerre, la mort, l’amour, abordés et développés, reflètent la vie pendant ces tristes périodes.

Le texte est parsemé de mots allemands qui claquent comme des fouets, expressions du vocabulaire militaire et carcéral, tandis que les mots italiens sont ceux, doux, de la vie quotidienne. Eric Paradisi nous traduit très bien l’âme féminine de la narratrice Flor présente dans tout le texte, vivante puis morte. Il n’y a pas de coupure, le récit est fluide, imagé et précis. Ce procédé est surprenant ; «si les morts parlent aux vivants, c’est pour leur apprendre comment vivre et ne se souvenir que de l’amour».

Un roman d’initiation marqué par une époque tragique.

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 03/09/2014 )
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