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Karembo
de Henry de Monfreid
Grasset - Lectures et aventures 2001 /  8.24 €- 53.97  ffr. / 190 pages
ISBN : 2-246-62421-5

L’autre livre de la jungle

Karembo, le jeune guerrier massaï, a enfreint la règle de la chasteté imposée à tous ceux qui n’ont pas fait leurs preuves. Une nuit, il a retiré la lance qui, posée sur la natte, le séparait symboliquement de la belle Aloma. Pourtant, pouvait-il ignorer que la tentation, "le serpent de la vieille légende, se retrouve dans le folklore de toutes les races : quand il veut perdre l’homme, il s’adresse à la femme et toujours elle se fait ingénument complice" ? De honte, le voilà qui tourne le dos au Mont Kenya, fuit le village. Selon la tradition, ce crime ne peut être réparé qu’en versant le sang d’un homme.

Ce sera celui du major anglais Goldner, a décidé Rahman, l’oncle sorcier de Karembo, qui saute sur l’occasion. Car l’Anglais, au mépris des lois des Massaï, a instauré l’égalité fiscale aux colonisés, plongeant les sorciers dans une rage à peine contenue - et au bord de la faillite. Le crime commis, la chasse à l’homme commence. Karembo, devenu dangereux pour les siens et donc rejeté, est traqué par les Anglais. Flanqué d’un chacal et d’un éland - variante de la gazelle - apprivoisés, Karembo le chasseur montre qu’il sait aussi être une proie redoutable…

Henry de Monfreid s’adresse d’abord à l’enfant et au chasseur, leur contant un autre livre de la jungle. Le parallèle est évident. L’éland de Karembo s’appelle Baghora, clin d’œil à peine voilé à la Bagheera du "petit d’homme". Certes, le modèle est un tantinet désuet, disqualifié même, tant par le soupçon qui pèse sur Kipling-thuriféraire de l’impérialisme, que par la caricature Disney qui a déformé le pacte millénaire de l’homme et de l’animal en rousseauisme light. Fort heureusement, Monfreid montre la richesse de cette thématique dédaignée. La grande transhumance, la chasse au rhinocéros, la lutte contre les fauves, la fabrication des flèches empoisonnées et tant d'autres épisodes captiveront tous les lecteurs.

Ce récit n’est qu‘un épisode des contes de Monfreid. Loin des classiques lieux de la geste coloniale française, l’arc de cercle des périples de ce grand voyageur, aventurier et conteur hors-pair va du "Récif maudit" du détroit d’Ormuz jusqu’au Mont Kenya. Parfois, le temps d’un commentaire, Monfreid reprend les rênes du récit et le "je" réapparaît. Résonnent alors des accents d’églogue vichyssois d’une autre époque, quand l’impérialisme européen, petites tâches colorées sur des planisphères pour enfant, brillait de ses derniers feux. On pourra s’agacer de ce récit, mais l’on aurait tort, car ce serait ignorer ce qui fait la richesse de ces aventures africaines : un ton.

Vianney Delourme
( Mis en ligne le 27/11/2001 )
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