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Littératureet Romans & Nouvelles  

La Première pierre
de Carsten Jensen
Phébus 2017 /  26 €- 170.3  ffr. / 770 pages
ISBN : 978-2-7529-1079-0
FORMAT : 14,2 cm × 20,7 cm

Nils Ahl (Traducteur)


Victimes et bourreaux

Malgré sa violence endémique, l'Afghanistan a tout du conflit enlisé, et oublié. Depuis 2001, les combats s’intensifient dans une guerre qui, malgré les drones et les nouvelles technologies, évoque en France le souvenir de l’Algérie ou de l’Indochine. Carsten Jensen, écrivain-voyageur né au Danemark, restitue le pourrissement et l’isolement du conflit ; les soldats, implantés au cœur de la population dans un milieu hostile et imprévisible, finissent par adopter les méthodes de l’adversaire et, de victimes, deviennent bourreaux et lapident leur ennemi : La Première pierre...

Un roman-fleuve qui a pour cadre la province de Helmland au sud-ouest de l’Afghanistan, en bordure du Pakistan. Là, les paysans se réfugient à chaque attaque. Ce récit de guerre nous fait suivre de jeunes militaires danois, volontaires dans le cadre d’une coalition internationale menée par l’OTAN. Ils vont vite déchanter, plongés dans la dure réalité des combats et l’enfer d’un conflit qui les dépasse. L’essentiel est de sauver sa peau et protéger la section, de survivre par tous les moyens dans ce cloaque où se mêlent trahison, lâcheté, mais aussi la force de l’amitié.

L’intrigue nous montre comment l’officier Schröder, naguère employé dans une société américaine de jeux vidéo, conçoit ce coin d’Afghanistan comme scénario ludique de plus. Mais la cruauté du combat n’a rien de virtuel. L’auteur décrit avec précision les civils écartelés entre les talibans qui les terrorisent, maîtres de la nuit, les Occidentaux soutenant à bout de bras le régime de Kaboul corrompu, et les seigneurs de la guerre à qui le jour appartient. Il ne nous épargne aucun supplice, aucun massacre perpétré par des Danois formés au départ à l’idéal de la reconstruction d’une nation. «Beaucoup de morts sont des paysans du coin qui n’ont aucun lien avec les talibans, ou alors cette sorte de relation lâche qui existe entre les hommes effrayés et ceux qui les persécutent. Désormais nous avons semé des graines de vengeance parmi la population locale».

L’ouvrage se divisé en zones : blanche pour le Danemark, orange, rouge - «où vous luttez pour votre vie» - et grise - «où vous serez dos au mur». Les lignes du bien et du mal sont indéfinies, elles se brouillent. C’est à la fois un polar de guerre et un roman saisissant sur les paradoxes du conflit. Le roman vient de recevoir le prix Transfuge du meilleur roman scandinave et sera adapté au cinéma par le producteur de Millenium. Porté par une langue simple, presque journalistique, à la frontière du reportage, sans pathos, le récit utilise également les codes du roman d’aventure et du thriller militaire et politique. La clé d’interprétation est un jeu vidéo ; le récit y sert de commande, pilote hypnotique et glaçant.

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 04/10/2017 )
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