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Littératureet Romans & Nouvelles  

La Méthode Sisik
de Laurent Graff
Le Dilettante 2018 /  15 €- 98.25  ffr. / 160 pages
ISBN : 978-2-84263-919-8
FORMAT : 12,0 cm × 18,0 cm

L’invention de l’éternité

D’après le calendrier de Grégoire Sisik, la prison «Lucile» sera inaugurée en 2070 ; le premier texte raconté par un narrateur prisonnier dans cette nouvelle unité est l’application pratique de la théorie de ce citoyen particulier qui deviendra doyen de l’humanité et mourra le 03/02/2084, retraité depuis le 03/03/1995.

L’accusé de la première nouvelle est convaincu de meurtres sur son épouse et ses enfants, trahi par des capteurs de vérités, de simples mouchards qui ont saisi ses intentions funestes et coupables. «Mes meurtres par «méditation» étaient précédés de préméditations, circonstances aggravantes». Il est donc incarcéré en 2070 dans la nouvelle prison «Lucile», inventée par Salvador Beckett (références à Dali et ses montres molles, et à Fin de partie ou En attendant Godot), son épouse l’ayant dénoncé au bureau des doutes ! Il est d’abord en préventive dans un camp en pleine nature puis enfermé comme 58% de la population depuis que la pensée intime et privée est devenue accessible. Des robots androïdes sont employés pour les tâches subalternes. «J’ai été condamné à une peine toute nouvelle, l’atemporalité, c’est-à-dire au-delà de la perpétuité. La sanction découlait d’une méthode mise au point récemment, visant à arrêter le temps, l’invention de l’éternité. Le condamné signe l’acte de dissolution de sa vie, annulation de l’acte de naissance qui le décharge de toute responsabilité».

Archiviste pendant quarante ans, marqué par la répétition des gestes pour ranger des documents anciens avec un horaire répétitif, Grégoire Sisik nous révèle son mode de pensée et son expérience dans le deuxième texte. Il s’épanouit dans la routine qu’il pousse à la perfection, être solitaire, asocial, sans fantaisie ni désir. Il écoute plus que souvent «Les variations Goldberg» de Bach qui sont un thème répété 32 fois pour traduire les états d’âme d’un journal intime, dans la meilleure interprétation, celle de Glenn Gould bien sûr.

Chaque après-midi, il regarde «Le Samouraï» de Jean-Pierre Melville, avec Alain Delon (qui doit mourir, d’après son calendrier, en 2022), car ce film est un polar qui se déroule sur trois jours, précis et prévisible, et Delon est éternellement beau. «Le cinéma a le pouvoir de mettre le temps en bocal. Un temps daté mais intouchable, clos, définitif». Précisément, le temps est relatif, il est relié à l’espace et Grégoire rapetisse son champ d’action pour neutraliser ce temps. Le temps rend aussi compte du changement dans le monde, c’est un produit de la perception humaine. Aussi cette notion devient-elle cruciale pour Grégoire. Mais comment le résilier ? Comme on ne vit pas éternellement, il se rapproche de la mort, s’économise, croyant avoir maîtrisé son ennemi.

Ce court roman à la forme de fable ou de conte pour enfants est fabuleux par ses interrogations philosophiques. Laurent Graff séduit et fascine en emportant le lecteur dans ses folies, une imagination débordante. Il traite ces sujets sérieux d’un ton léger et facétieux. Un vrai régal. On finit triste en retombant sur terre après la dernière page. Il est vrai que nous ne sommes pas encore en 2070...

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 15/01/2018 )
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