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Littératureet Romans & Nouvelles  

Evangelia
de David Toscana
Zulma 2018 /  22,50 €- 147.38  ffr. / 425 pages
ISBN : 978-2-84304-810-4
FORMAT : 14,3 cm × 21,0 cm

Inès Introcaso (Traducteur)

Jésus, bonnet B

Elle s’appelle Emmanuelle : elle est la fille de Dieu, enfantée par Marie, à Nazareth… il y a eu comme une boulette dans cette affaire, et les premiers à le réaliser sont les rois mages, perdus dans le désert (allez suivre une étoile !) et finalement arrivés devant le berceau d’une fille ! Le roi des Juifs ne saurait être une reine, alors demi-tour… Et Emmanuelle naît dans la consternation générale, jusqu’au royaume des cieux, où la sainte trinité est en crise. L’archange Gabriel a manifestement fait une gaffe, à moins que ce ne soit Dieu le père.

Bref, le sauveur est une sauveuse, mais dans l’indifférence générale, et jusqu’à ses parents, Marie et Joseph, qui cherchent dans la loi juive de quoi retrouver la bonne nouvelle de l’Annonciation. Chacun suit son chemin : Marie bascule dans l’hybris, Joseph dans la lèpre, Emmanuelle entreprend de remplir sa mission, un peu à l’aveuglette, et avec l’aide de quelques alliés de circonstance et d’autant de disciples. Heureusement il y a Jacob, le deuxième enfant de Marie et Joseph, un garçon sérieux lui, et conscient de sa mission, un sauveur de seconde main, qui décide de prendre le nom de Jésus (plus porteur, plus marketing) mais c’est toujours ça de pris.

David Toscana a entrepris de refaire les Evangiles en en modifiant juste un point, mais pas un détail : le sexe du bébé né dans la crèche. On n’est pas chez les Monty Pythons de Life of Brian mais c’est le même esprit délirant, caustique et un brin irrévérencieux qui est aux commandes de ce roman drolatique. Car David Toscana a su capter le style biblique, un peu déclamatoire, pour revisiter les épisodes de l’Evangile, les paraboles passées au crible de la raison taquine, les discours exaltés ou mystérieux fondés sur une stratégie de communication.

On rit beaucoup dans ce roman qui, sans être provocateur, relève de la parodie jubilatoire. Les épisodes des Evangiles, revisités au prisme du genre, basculent dans des situations improbables : Jean le Baptiste est un prophète déprimant, la transformation de l’eau en vin lors des noces de Cana devient un sordide imbroglio familial, sans parler de Jacob/Jésus, le faux/vrai sauveur et petit frère un brin traditionaliste et protecteur. Mention spéciale pour Dieu le père, qui découvre dans la philosophie grecque la réalité de sa nature, et s’interroge sur la justesse de son choix d’élire les Hébreux, ou bien le Jésus du ciel, qui enrage de ne pas pouvoir réaliser son destin avant sa sœur. Gentiment iconoclaste, Toscana s’amuse à imaginer des Evangiles alternatifs et à poser des questions : le prisme du féminin débouche sur un conte philosophique qui, au prétexte de l’humour, entreprend de faire réfléchir sur le message évangélique à l’aune de nos problématiques actuelles. Efficace, décapant et incontournable pour les amateurs de roman picaresque et humoristique.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 21/02/2018 )
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