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Littératureet Romans & Nouvelles  

Chien-loup
de Serge Joncour
Flammarion 2018 /  21 €- 137.55  ffr. / 480 pages
ISBN : 978-2-08-142111-0
FORMAT : 14,8 cm × 22,0 cm

... lupus est

Serge Joncour fait partie des vrais faiseurs d'histoires, cohorte pas si nombreuse dans la petite nébuleuse de la littérature française contemporaine. Un écrivain, quoi. Belle armature du récit, style soigné, personnages bien brossés, ce qu'il faut de suspense, d'arrière-plan historique, de satire sociale. On retrouve ici la densité romanesque de L'Ecrivain national.

Deux récits s'entremêlent autour d'un même lieu : Orcières, petit village du ''centre'', au pieds d'un massif en haut duquel, sur une colline, une ferme viticole autrefois prospère (et puis surgit la maladie de la vigne) attise à toute époque les craintes et les fantasmes. Nous sommes en 1914. Nous sommes en 2017. Les chapitres alternent, détaillant d'un côté la survit du village alors que les hommes sont partis au combat et qu'un dompteur de fauves, allemand de surcroît, occupe la maison abandonnée des hauteurs ; de l'autre, l'été ''au vert'' d'un couple de parisiens surmenés, venus trouver refuge dans la même maison, louée sur internet, havre sans réseau, ni Wifi, ni 4G. Un trou.

Lise, actrice, voulait s'isoler du monde, ce qui n'enchante pas Franck, producteur hyperactif pris par des négociations houleuses avec deux jeunes collaborateurs décidés à le faire entrer chez Netflix et Amazon. Dans la nuit, des bruits surgissent, bruissement d'une nature sauvage insoupçonnée, chevreuils, lynx... peut-être même des fauves, disent les gens du coin, marqués par les légendes locales. Et un chien, le chien éponyme, animal sauvage régnant sur ce lieu. Franck le domestique peu à peu, s'habituant en retour à la beauté de cette contrée perdue.

Cent ans plus tôt, le village avance dans la fureur du conflit, malgré l'éloignement du front. Les femmes sont aux affaires, avec le maire, l'instituteur et quelques benêts non mobilisés. Joséphine est la veuve du médecin, l'un des premiers disparus au front. D'une beauté singulière, elle suscite béguins et jalousies. Pour calmer les craintes de ses voisins, elle monte à Orcières, pour protéger des brebis qui disparaissent sans laisser de trace, surveiller... et se rapprocher du dompteur, homme accusé de tous les maux.

L'Homme et la bête, sujet sans âge : Serge Joncour travaille le récit autour de cette confrontation des éléments, de leur confusion aussi - quelles parts de bestialité dans l'homme, et d'humanité dans l'animal ?... -, avec grand art. L'écho des drames passés jusqu'à notre époque nourrit le suspense. La peinture du temps présent autorise une critique de la modernité telle qu'elle va : l'appel de l'authenticité et de la ruralité chez des urbains déboussolés, la voracité de marques prétendument cools, nos façons d'être et de vivre. Homo homini lupus est, dit l'adage. Serge Joncour offre autour de cette vérité, un beau roman, un roman pour de vrai.

Thomas Roman
( Mis en ligne le 29/08/2018 )
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