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Littératureet Romans & Nouvelles  

Ça raconte Sarah
de Pauline Delabroy-Allard
Les éditions de Minuit - Double 2020 /  7,80 €- 51.09  ffr. / 192 pages
ISBN : 978-2-7073-4616-2
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

Première publication en septembre 2018 (Les éditions de Minuit)

Un Belle du seigneur à deux belles

Contrairement à la narratrice, qui doute de soi et de ce qui s'est passé, établissons des faits. C’est un roman à la première personne, c’est un roman générationnel, de la génération des grèves de 1995, c’est un roman sociologique de la bohème enseignante parisienne, c’est un roman allitératif (en s, souvent), c’est un roman répétitif, c’est un roman partitionné comme un toit à double pente qui parfois prendrait l'eau, c’est un roman sur la musique, sur la couleur, un roman fusion, un roman documentaire (ou tendant vers la poésie documentaire). C’est un roman avec bien des béances, que parcourt le motif de la latence. C'est un roman géographique, de la géographie de la bohème enseignante parisienne – Paris, Les Lilas, Marseille, une ferme quelconque à la campagne, l'Italie, Skype – c'est un roman sans histoire, sinon la passion, qui n’est pas une histoire mais une succession d’états, avec un pan vital, un pan mortel, et des sentiments d’âme radicaux plantés plus ou moins profonds et que la narratrice sans cesse surexpose.

C'est un peu un roman belle du seigneur, mais à deux belles, et beaucoup plus court. C'est un roman pronominal, où elle est le top-mot, puis je dans la chute. C’est un roman culturel, au sens Telerama de la chose, avec ses (chouettes) références à la culture de la bohème enseignante parisienne (Duras, Piaf, Max Jacob, «La Jeune fille et la mort»…). C’est un roman de gare, et d’aéroport, et de retards. C'est un roman où, parfois, on saute trois lignes, en hâte d’une image nouvelle, d’une prochaine figure, d’une jolie phrase queue de poisson : le cafetier écrème le latte trop moussu. En ce sens, c'est aussi un roman patin à glace. Un roman policé sur lequel on glisse, qui suscite une approbation de bon aloi, formatée, avec sa comptabilité de loupés et de prouesses.

C'est un roman de minuit, avec peut-être – vraiment peut-être – ses clins d'oeil cabotins : Paris-Trieste l'emporte sur Paris-Brest (de Viel), le port naval désaffecté cède au Havre (de Julia Deck), etc. C'est un roman de minuit, donc au présent. Aux présents, à tous les présents : de narration, historique, de définition, etc. Donc un roman-cinéma, avec convocation de scènes d’extérieur stéréotypées dans les rues de l’Adriatique.

C’est un roman dont il est difficile d’établir le nombre exact de personnages : deux et des décimales ? Un seul ? Aucun ? Comme le veulent notre novlangue et le titre, ça pose question. Ça raconte Sarah pose des questions : éprouve-t-on du plaisir à sa lecture ? Y est-on intéressé ? Se laisse-t-on choir dans la grande béance qui en est un motif récurrent ? Oui, mais non sans doute. On referme le livre, et on peine à dégager une dominante de lecture. Se juxtaposent des moments de plaisir, de lassitude, d’ennui percé de surprise, d’agacement ponctué de salutaires et sincères coups de chapeau. C’est un roman qui en dernière analyse ne fait pas mal, c’est un roman pas mal.

David-Jo Benrubi
( Mis en ligne le 22/05/2020 )
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