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Littératureet Romans & Nouvelles  

L'Usage de la photo
de Annie Ernaux et Marc Marie
Gallimard - Blanche 2005 /  13.90 €- 91.05  ffr. / 150 pages
ISBN : 2070773760
FORMAT : 13 x 21 cm

Des images et des mots

Après La Place, La Honte ou encore La Femme gelée, Annie Ernaux continue l’exploration littéraire des grandes étapes de son existence : L’Usage de la photo évoque une rencontre amoureuse et charnelle avec M., qui viendra lui-même retranscrire cette expérience en co-écrivant le livre. Cette rencontre prend corps à travers les mots de l’écrivain, mais également au moyen de photographies prises peu après l’étreinte amoureuse. Il s’agit de fixer sur pellicule les vêtements des amants éparpillés sur le sol dans l’urgence impérative du désir. Les paysages protéiformes ainsi formés, puis photographiés et commentés tour à tour par l’un et l’autre amant constituent le corps de L’Usage de la photo.

Comme toujours chez Annie Ernaux, l’appréhension de sa réalité de femme, de son humanité tout entière passe par l’examen « clinique » des faits et des circonstances. La singularité et la beauté de son œuvre résident dans l’étroit passage qui se forme entre l’écriture précise, implacable, et les multiples échos émotionnels qu’elle implique. Ainsi, saisir son appareil photo après l’amour, cadrer les vêtements en désordre puis les fixer sur pellicule réclame une vigilance, un esprit d’analyse qui peuvent paraître peu adaptés à ce moment de perte de contrôle par excellence. Mais, au regard du caractère fugitif de l’instant symbolisé par la position aléatoire et provisoire des vêtements sur le sol, la photographie relayée par l’écriture prend un rôle de fixateur dans le temps, de témoin qui laisse une trace derrière lui. Le désir et l’acte sexuel, symboles de vie, sont ainsi saisis en plein vol, comme retenus et suspendus. L’acte volontaire de photographier déclenche alors l’émotion.

Et il s’agit bien de retenir la vie pour la femme auteur, l’écrivain-amante Annie Ernaux alors atteinte d’un cancer du sein. Il lui faut se réapproprier un corps qui semble lui échapper à travers le regard de l’amant et la puissance de son désir, l’objectif de l’appareil photo et la force de l’écriture. L’Usage de la photo est une expérience de lecture à faire, même si on peut lui préférer Une Femme ou La Place, qui évoquent la mère et l’adolescence d’Annie Ernaux. On ne pourra qu’être admiratif devant l’honnêteté et la justesse de l’entreprise. Et surtout, se réjouir de retrouver le dernier opus d’un auteur essentiel dans le paysage littéraire français.

Véronique Delahaye
( Mis en ligne le 02/05/2005 )
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