L'actualité du livre
Littératureet Romans & Nouvelles  

L'Enfant d'octobre
de Philippe Besson
Grasset 2006 /  14.90 €- 97.6  ffr. / 189 pages
ISBN : 2-246-67861-7
FORMAT : 13,0cm x 20,5cm

Le morbide appétit et la morne piéta

Parce qu’un fait divers comme celui-ci n’aurait sans doute pas pu sortir dans sa perfection tragique de l’imagination d’un écrivain, peut-être fallait-il en effet qu’un écrivain mange le réel pour nous en restituer les splendeurs épiques : “Les journalistes, eux, se disent que, décidément, tous les éléments de la tragédie sont réunis. C’est beau comme l’antique” (p.139). Car tout, à partir de ce 16 octobre 1986, confère au drame théâtral, superbe de sa laideur même et de l’insolente conjonction du pire.

Ce jour-là, le jeune Grégory, 4 ans, est retrouvé mort, ligoté apparemment sans résistance, au fond d’une rivière. Deux parents, mariés jeunes, plutôt émancipés de la morne reproduction sociale ambiante, au point peut-être d’attiser les jalousies… Une famille, les Willemin, déchirée, en quasi guerre civile… Et la torpeur provinciale de ces no-man's-lands de montagnes… “Oui, c’est quoi, au juste, quand la montagne est une frontière, le travail à la chaîne un horizon, et que l’hiver revient dès le mois de septembre ? C’est rien. Rien que l’ennui, la résignation, une sorte de langueur qui suinte, une neurasthénie. Ce sont des heures asservies, l’attente d’un mieux informulable et qui ne se produira pas, l’espérance qui recule, le temps qui passe et compte double, un peu de sueur qui perle au front et quelques illusions à perdre.” (p.23)

Mais à l’horreur du crime et du deuil - “Un cri désespéré, inutile, qui va inévitablement se perdre et cependant absolument nécessaire. L’adieu de la mère. C’est ça, exactement, une splendeur insupportable.” (p.83) - s’ajouta aussitot celles d’une enquête policière bâclée, d’une procédure juduciaire mal menée (expertises peu fiables, juge trop jeune, moyens chiches, le raccourci jusqu’à Outreau est évident pour le lecteur contemporain), et la comédie humaine dans ce qu’elle peut avoir de plus sale : l’appétit des médias, reflet de celui du télespectateur moyen, la soif de vérité, fût-ce au prix du mensonge, de l’erreur, de l’approximation, et l’impensable : accuser – tous l’ont fait… et le lecteur même sent poindre ce bestial index accusateur, diabolique, proprement charognard – la mère…

Alors, 20 ans plus tard, lui aussi charognard, se servant de son bout de viande pour noircir quelques pages, Philippe Besson tire du fait divers un roman. Mais un vautour aux ailes d’ange rédempteur car au récit du drame s’ajoutent les mots de la mère, discrets italiques revenant sur les faits, pour crier la douleur, la colère, l’innocence. Christine Willemin est-elle sortie de “la nuit de l’enfant” (p.90) ? L’auteur, d’une encre empathique, rappelle que non, bien évidemment. Le reste est plus journalistique, attentif à la restitution des ambiances, aux chocs des versions, des témoignages et dépositions, à la chronologie, tracée comme une ligne en chute libre…

Et le lecteur, mange-mort lui aussi, lit, se captive, dévore les pages sans réelle vergogne. Grégory, une fois de plus cannibalisé…

Bruno Portesi
( Mis en ligne le 28/04/2006 )
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