L'actualité du livre
Littératureet Essais littéraires & histoire de la littérature  

Michaux l'insaisissable - Socioanalyse d'une entrée en littérature
de David Vrydaghs
Droz 2009 /  28 €- 183.4  ffr. / 200 pages
ISBN : 978-2-600-01227-0

Michaux déverrouillé

Quelle image subsiste-t-il de Henri Michaux ? La question devrait d’ailleurs se formuler au pluriel, car le poète de l’effacement de soi par excellence savait poser au moment opportun devant l’objectif. En atteste notamment la superbe série de portraits photographiques datant des années 60, à travers laquelle Gisèle Freund l’immortalisait l’air absorbé à côté de l’un de ses tableaux ou encore indolemment serein, le visage de biais, la joue sur la main. Il n’empêche qu’il s’est tissé autour de cet homme à la personnalité et à la démarche créatrice difficiles d’accès une mythographie de «l’absence au monde». Il n’est pas de bon ton d'évoquer Michaux autrement qu’en termes de fantôme, d’oiseau rare à saisir par surprise, au risque d’essuyer le reproche qu’il adressait souvent aux journalistes indélicats, de lui «voler son âme».

L’approche socio-historique adoptée par David Vrydaghs s’éloigne résolument de ce sentier battu. Elle consiste à retracer l’itinéraire de Michaux moins en terme de chronologie biographique que de trajectoire dans les deux champs littéraires qu’il traversa, en Belgique d’abord, en France ensuite. Son analyse montre comment la critique façonna Michaux et comment, par jeu subtil plus que par stratégie carriériste, l’auteur d’Ecuador se plut à laisser entretenir à son égard un certain flou. La position marginale de Michaux fut ainsi, presque paradoxalement, le gage du processus de reconnaissance dont il allait jouir après-guerre.

David Vrydaghs couvre les quarante-cinq premières années d’une vie consacrée tout entière à la littérature. Il examine avec minutie la participation de Michaux à des revues, ses rapports au monde de l’édition, à la sphère artistique et à la notion d’«engagement», ses rencontres consenties et ses replis péremptoires, ses émergences et ses résurgences. L’attention du chercheur se concentre sur les conditions d’une réception de la part de figures-clés, tels Maurice Blanchot, René Bertelé et, bien entendu, le premier de tous : André Gide. C’est en effet suite à l’invitation de celui-ci à «découvrir Henri Michaux» en 1941 que le Namurois-malgré-lui accéda pleinement à l’avant-plan de la scène poétique française. En affirmant à son propos que cette écriture était tout «inactualité» et «discrétion», Gide se rendait-il compte qu’il fondait la critique michalcienne, et du coup creusait le sillon d’une légende qui allait s’approfondir durant des décennies ?

Avec Michaux l’insaisissable, David Vrydaghs offre un essai parfaitement documenté. L’écriture en est quelque peu aseptisée, ce qui est dommage quand on parle de poésie, mais c’est moins à l’auteur qu’il faut en faire grief qu’aux limites imposées par le genre du commentaire universitaire. On le félicitera par contre pour son absence totale de pédantisme jargonnant, et donc pour la lisibilité de cet ouvrage, heureux alliage de rigueur et de clarté. Assurément, David Vrydaghs n’est pas, comme l’affirmait de lui-même son sujet, «né fatigué»…

Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 03/04/2009 )
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