L'actualité du livre
Littératureet Essais littéraires & histoire de la littérature  

Lettres à Jacques Doucet - 1920-1926
de André Breton
Gallimard - Blanche 2016 /  21 €- 137.55  ffr. / 272 pages
ISBN : 978-2-07-019708-8
FORMAT : 14,2 cm × 20,5 cm

Etienne-Alain Hubert (Présentation)

Breton bibliophile

Une amitié peu commune que celle liant ces deux hommes. Le premier, Jacques Doucet (1853-1929), est un couturier qui a fait fortune et qui s’est passionné pour l’art moderne en collectionnant les manuscrits et les tableaux des plus grands artistes. Le second, André Breton (1896-1966), est écrivain et, pour gagner sa vie, il recommande et recherche des trésors pour la bibliothèque et le fond de son employeur. De 1920 à 1926, les deux hommes ont une relation de travail... et de complicité, l’art moderne étant au centre des recherches des deux passionnés.

Beaucoup de respect mutuel règne dans ces échanges épistolaires. La période est celle de la pleine expansion du surréalisme et Breton, qui doit rechercher des fonds pour la bibliothèque Doucet, se fait une joie de conseiller les œuvres de ses amis poètes Aragon, Desnos, Péret, Eluard, Tzara, Soupault qui publient alors énormément. Parallèlement, la recherche de manuscrits plus anciens occupe le jeune homme qui propose ceux de Sade, de Restif, de Rimbaud. Enfin, les toiles de Picabia, Picasso ou encore Braque occasionnent des négociations et des discussions passionnantes. Le poète surréaliste veut dors et déjà faire partie de l’histoire littéraire en s'inscrivant dans cette filiation.

D'une certaine manière, la prégnance et les influences du romantisme sur le surréalisme innervent ces pages, policées et annotées par ailleurs par l’éditeur actuel. Breton propose une certaine définition du surréalisme à cet esprit curieux et avant-gardiste qu’est Doucet (ami de Suarès, homme à des années lumières de l’esprit révolutionnaire de Breton et qui s’occupe lui aussi de fournir la bibliothèque). On y parle littérature, on détaille les œuvres importantes de ce début de siècle, y compris dans le monde pictural. Picasso (délaissé par la suite par les surréalistes) est encensé par Breton.

Quelques surprises aussi car l’on apprend que Breton est un fin lecteur de tout ce qu’il reniera dans ses manifestes. Il recommande notamment à Doucet quelques ouvrages de Maurice Barrès (pourtant étrillé lors du procès parodique contre le chantre du nationalisme) qui l’ont fortement influencé. Breton se révèle ainsi énormément dans ces correspondances (comme, déjà, dans celles à Aube et à Simone, récemment publiées) laissant parfois de côté l’écrivain intransigeant et subversif au profit d'un homme plutôt sensible et fragile. Il est donc moins tranchant, moins vindicatif, moins radical que dans ses manifestes ou d'autres de ses essais surréalistes. Un Breton plus humain, sujet à la tristesse des déceptions et à la mélancolie d’une âme poétique. C’est ainsi qu’il se confie parfois à son ainé.

Passant outre les passages obligés et fastidieux de politesses ou d’occupations triviales rapportés dans ces correspondances, le lecteur plonge dans l’esprit de l’époque. Ces correspondances - inédites (autorisées à la publication par Breton 50 ans après sa mort) - donnent un goût assez précis des préoccupations littéraires du «pape» du surréalisme. Nous attendons avec impatience les échanges épistolaires à l’intérieur même du groupe. Avec Aragon, avec Péret, avec Eluard, cela devrait être d'autant plus intense !

Jean-Laurent Glémin
( Mis en ligne le 16/12/2016 )
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