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Littératureet Essais littéraires & histoire de la littérature  

D'une bibliothèque l'autre
de Enis Batur
Bleu autour - La Petite collection 2008 /  10 €- 65.5  ffr. / 88 pages
ISBN : 9782912019462
FORMAT : 13 x 17 cm

Préface de Alberto Manguel.

Traduction de François Skvor.


Maison des livres

Turc, vivant à Istanbul, Enis Batur (né en 1952) est un auteur reconnu dans son pays, mais que la France n’a découvert que depuis quelques années lorsque les éditions Actes Sud, Fata Morgana et Bleu autour ont entrepris de le publier.

C’est un court essai (78 pages) que les éditions Bleu autour donnent dans leur «Petite collection», avec une préface d’Alberto Manguel. En fait, Enis Batur avait d’abord écrit des textes séparés pour le bulletin d’une bibliothèque turque, et ceux-ci ont ensuite été rassemblés dans une édition turque en 2005, avant que les éditions Bleu autour, très ouvertes sur la littérature turque, ne lui proposent d’en faire une édition française, préfacée par Alberto Manguel et avec une postface d’Enis Batur lui-même.

Il s’agit certes d’un court essai mais qui ouvre des espaces infinis : ceux de la lecture et des bibliothèques des lecteurs. Enis Batur s’y livre à une réflexion en chapitres brefs, au fil des souvenirs, des lectures, des observations sur le destin de bibliothèques célèbres : celles réelle d’Andy Warburg, aujourd’hui conservée à Londres, celles disparues en fumées, détruites, volontairement ou accidentellement, Alexandrie, Ephèse, Sarajevo…, ou sauvées de l’oubli : les rouleaux de la Mer Morte. Bibliothèques rêvées aussi telle celle qui hante de façon récurrente et cauchemardesque les nuits de l’auteur. Sur toutes planent l’ombre de Borgès, de La Bibliothèque de Babel, du Livre de sable.

Certaines bibliothèques sont des labyrinthes conçus par leurs propriétaires : de la bibliothèque Warburg, Ernst Cassirer constate dans les années 20 : «Il ne s’agissait pas d’une collection de livres : il aurait été plus approprié de parler d’une collection de problèmes» (p.60). Ces bibliothèques peuvent être célèbres, mais aussi appartenir à des anonymes, comme les propriétaires de cette maison louée pour un été et dont Enis Batur, tout en reconnaissant leur amour pour l’art et les voyages, qu’il peut partager, note cependant : «Dans ma tête, je n’en coche pas moins la case «préjugé»» (p.50). Dans l'identification d’une bibliothèque, il y a toute la familiarité intime et immédiate des lecteurs qui se reconnaissent ; gémellité puissante et étrange qu’évoquent et Alberto Manguel dans sa préface et Enis Batur en postface.

Un ouvrage mince en apparence mais qui ouvre des abîmes de rêves aux lecteurs amoureux de leurs bibliothèques, dont le sens profond n’apparaît qu’à eux seuls : «Chaque livre d’une bibliothèque retrouve les autres et s’en sépare à la fois ; chaque lecteur, depuis son microcosme, rejoint ses semblables comme ses dissemblables» (p.38). Laissons la conclusion à Enis Batur : «La bibliothèque est le no man’s land de tout passionné des livres, qu’il soit amoureux transi ou captif. Elle est l’autre topographie par laquelle nous nous ouvrons à l’infini dans un monde personnel et limité - notre maison, notre ville, nos pays et géographie - lui-même enchâssé dans cet oppressant espace sans borne qu’est l’univers : et, là, notre puissance imaginative dessine une tout autre cartographie» (p.30).

Marie-Paule Caire
( Mis en ligne le 26/06/2008 )
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