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Littératureet Littérature Américaine  

Au loin
de Hernan Diaz
10/18 - Domaine étranger 2019 /  8,10 €- 53.06  ffr. / 334 pages
ISBN : 978-2-264-07439-3
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

Première publication française en août 2018 (Delcourt)

Christine Barbaste (Traducteur)


Into the wild

Ce bildungsroman à suspense est le portrait puissant d'une solitude tombée en agoraphobie, un récit sur l’immigration et une réinvention du western old-school. Le héros géant d’Hernan Diaz se dirige vers l’est de l’Amérique au milieu du XIXe siècle, à contre-courant des hordes d’immigrants venus chercher fortune et s’établir dans l’Ouest, Eldorado si prometteur et si trompeur.

Le récit s’ouvre sur une scène inoubliable : un homme immense et anonyme, nu, grisonnant et vieux, se hisse à travers un trou dans l’eau glacée jusqu’à la surface de la banquise. Nous sommes en Alaska, sous les regards admiratifs de ses compagnons. Cette image extraordinaire deviendra encore plus puissante à la toute fin du récit. Ce colosse boiteux usé par les épreuves est Hakan Södeström.

Adolescent, avec son frère aîné Linius, il est envoyé aux États-Unis par son père, fermier suédois en difficulté, dans l’espoir d’une vie meilleure. Les deux frères se perdent dans le port de Portsmouth et se trompent de bateau. Croyant aller à New-York, Hakan arrive à San Francisco et repart à pieds pour essayer de rejoindre la côte Est et retrouver son frère… sans parler un mot d’anglais... Cette quête insensée durera une partie de sa vie.

Dans ce récit palpitant et énergique, Hakan rencontre une série de personnages hauts en couleurs, qui lui apprendront toujours quelque chose, se méfier des autres et rester seul : un prospecteur d’or irlandais fou, un naturaliste à la théorie précise sur l’origine de la vie sur terre, qui apprendra les rudiments de médecine à Hakan, une science très utile dans l’immensité de la nature et la solitude. Il piège les animaux pour se nourrir et se vêtir ; dès qu’il se sait recherché, accusé à tort d’avoir tué des Mormons, il disparaît dans le désert, puis dans une grotte de canyon pendant des années, sans aucune notion du temps, jusqu’à ce qu’il reprenne la route.

Une histoire de passage à l’âge adulte, brutale, triste dans un passé historique familier et étrange à la fois : Hakan offre au lecteur son regard, lorsqu’il marche, isolé, étonné de tout, observant les paysages, les gens et les animaux, étudiant les cycles de la nature. Il ne connaît pas le train qui avance en crachant de la fumée et de la vapeur ni les longs fils du télégraphe. Ermite, sinon sauvage, il est dépassé par le progrès. Ce long périple entrecoupé de rares rencontres, fructueuses ou désagréables, le conforte dans sa conviction de ne compter que sur soi-même. Mais une certaine relation d’amitié change le cours de sa vie.

Hernan Diaz a fui, enfant avec ses parents, la dictature argentine pour la Suède. Il connaît bien le problème de l’immigration ainsi que la dévastation causée par le rêve américain. Finaliste du prix Pulitzer pour ce roman, il vit depuis une vingtaine d’années à New-York. Le personnage hors norme de Hakan reste après la lecture, antihéros attachant et émouvant : «Ces corvées occupaient tout son temps et leur enchaînement finissait par dessiner une boucle, ou plutôt une sorte de motif qui, quoique invisible à ses yeux se répétait. (…) Rares étaient les repères qui permettaient de segmenter le temps . (…) Exister était un travail à temps plein».

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 18/09/2019 )
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