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Littératureet   

Et puis
de Natsumé Sôseki
Serpent à plumes - Motifs 2004 /  8.90 €- 58.3  ffr. / 439 pages
ISBN : 2-907573-12-8
FORMAT : 11 x 17 cm

Traduit par Hélène Morita et Yôkô Miyamoto.

Contemplatif et passionné

Au tournant du 20e siècle, l’Ère du Meiji marqua pour le Japon un véritable bouleversement civilisationnel : en quelques décennies seulement, L’Empire du Soleil levant allait rompre avec ses traditions ancestrales pour importer nombre de valeurs occidentales et entrer de plain pied dans la modernité. Cette brutale et vertigineuse montée en puissance du capitalisme s’accompagna non seulement d’un essor économique fulgurant mais également de l’émergence d’un individualisme d’un type nouveau, lié à une fragmentation de la société et à la poursuite d’un bien-être individuel qui n’avait plus grand-chose à voir avec les mœurs du temps des samouraïs.

Natsume Soseki (1867-1916) aura sans doute été le témoin privilégié de cette transition et le porte-parole le plus avisé des angoisses de sa génération. Auteur prolixe même si tôt disparu, Soseki laisse derrière lui une œuvre considérable (dont le très satirique Je suis un chat), qui témoigne d’un regard toujours pénétrant et lucide sur les contradictions animant ses contemporains.

Et puis n’échappe pas à cette règle. Ce «roman célibataire» met en scène un jeune rentier de trente ans, Daisuké, ayant depuis longtemps adopté un confortable mode de vie d’esthète oisif qu’il a le plus grand mal à délaisser pour (enfin) se trouver une situation sérieuse. Pressé de toute part par sa famille (son frère, sa belle-sœur et surtout son père vieillissant), Daisuké refuse systématiquement tous les bons partis et la perspective du mariage, dans le seul souci de préserver sa tranquillité. Caractère contemplatif, il préfère se réfugier dans la lecture et partager la compagnie de Dakono, son serviteur nonchalant, et de sa vieille cuisinière…

Si détaché du monde qu’il apparaisse de prime abord, Daisuké n’en est pas moins un être d’une profonde sensibilité, dont les sentiments réels vont progressivement se dévoiler : car le seul amour réel qui l’anime va à Michiyo, l’épouse délaissée de son meilleur ami. Au fil des visites qu’il rend à Michiyo, sous prétexte de l’aider financièrement pour parer aux dépenses excessives de son époux, Daisuké se dessille peu et à peu et comprend qu’il a agi avec bien peu de discernement, trois ans auparavant, en favorisant cette union.

De cette situation somme toute assez conventionnelle, Soseki va tirer le meilleur parti pour explorer les moeurs de son temps et mettre en scène les violentes contradictions entre passion et convenances sociales, encore bien de mise dans une société soi disant en voie de libéralisation… Ponctué de réflexions philosophiques, de débats entre Daisuké et les tenants d’une vision plus pragmatique de la vie, le récit file jusqu’à un dénouement étonnamment oppressant. Soseki développe une narration parfaitement maîtrisée, éclaircie par de sublimes suspens qu’on aurait tort de confondre avec des temps morts : ainsi le lecteur partage les moments de recueillement où Daisuké s’absorbe dans le
spectacle de la chute de pétales ou l’atmosphère troublante d’un parfum… Moments privilégiés dont la modernité galopante, le matérialisme triomphant et le conformisme auront impitoyablement raison.

Frédéric Saenen
( Mis en ligne le 03/03/2005 )
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