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Entretien avec Colum McCann - (Être un homme, Belfond, Juin 2014)



- Colum McCann, Collectif d'auteurs, Être un homme, Belfond, Juin 2014, 359 p., 21 €, ISBN : 978-2-7144-5863-6


Histoires de faire la paix

Parutions.com : Comment est né ce mouvement militant et associatif fondé sur le partage d'histoires ?

Colum McCann : Un groupe d'écrivains et activistes s'est rassemblé en 2013 dans le Colorado et ce dont nous avons surtout parlé concernait l'impact social de la littérature. Comment pouvons-nous nous impliquer plus profondément dans des histoires et quel est le pouvoir du ''storytelling''? Nous avons donc passé quelques jours ensemble dans les montagnes en lisant Platon, Martin Luther King, Gandhi, de la poésie et des articles. Nous avons alors commencé à échanger des idées, déjà sous l'égide d'une structure en place dirigée par Lisa Consiglio. Elle avait cette idée d'organiser des échanges d'histoires, de se mettre à la place des autres par ce biais. A partir de cette idée nous est venu le concept d'“empathie radicale”. Cette organisation a pour but premier d'engager les plus jeunes dans ce processus de partage d'histoires ; mais aussi de changer le paysage littéraire en faisant se rencontrer jeunes et écrivains autour de l'art du ''storytelling''.

Parutions.com : Un journaliste du magazine Esquire a déclaré dans une entrevue consacrée à ''Narrative 4'' et son action à Chicago qu'une histoire forte peut changer votre vision du monde. Quelles sont les histoires qui ont changé la vôtre ?

Colum McCann : Toute histoire change votre façon de voir les choses. Nous racontons des histoires pour toutes sortes de raisons. Pour que les gens nous aiment, pour les encourager à rejoindre une cause, pour des raisons plus malveillantes aussi. Les gouvernements en particulier racontent des histoires pour envoyer les citoyens au front. Mais on peut aussi raconter des histoires pour provoquer l'amour. Chaque histoire à sa raison d'être, son objectif, en fonction de la situation. Je peux penser à toutes sortes d'histoires qui m'ont façonné mais il est difficile d'en choisir une comme cela ; tout dépend des circonstances dans lesquelles une histoire surgit puis est racontée.

Parutions.com : Avant la publication de votre roman Et que le vaste monde poursuive sa course folle , vous avez parcouru les États-Unis à vélo, ce qui vous a permis de rencontrer des dizaines de gens passionnants. Est-ce que cela a eu un impact sur votre décision de fonder ''Narrative 4'' ?

Colum McCann : Oui, je crois. Pendant cette expédition, j'étais chargé comme une mule avec sacs, tente, sac-de-couchage, et les gens venaient donc vers ce vagabond étrange pour demander ce qu'il faisait. J'expliquais alors que nous avions tous ce rêve d'évasion, ce tropisme vers l'Ouest qui caractérise aussi le peuple américain, et la plupart des gens étaient d'accord, ce qui les conduisait à partager des récits avec moi, des récits parfois très personnels et intimes. Je prenais ces histoires, je les ingérais et les gardais avec moi. C'était déjà un processus de storytelling et d'échange. J'aime les gens et j'aime écouter leurs histoires, mais mon statut d'écrivain fait que je suis toujours celui qui parle le plus, plus que je ne voudrais. Quoi qu'il en soit, ces rencontres ont eu un impact fort sur moi, des rencontres avec des personnes de tous horizons, riches ou pauvres, ruraux ou citadins, hommes ou femmes, blancs ou noirs. Ces arrières-plans socioculturels et ethniques composent une vue kaléidoscopique des choses. Je me sens très privilégié d'avoir vécu cela pendant cette année et demie de voyage.

Parutions.com : Pour revenir à l'ouvrage et “Narrative 4”, comment avez-vous choisi les auteurs figurant dans le recueil ?

Colum McCann : Je n'ai rien fait. Ils se sont choisis eux-mêmes car chacun a participé gratuitement à cette expérience. J'ai envoyé un email général à des amis et invité chacun à rejoindre ce projet qui est dans son essence un projet communautaire. Certains eurent l'opportunité de participer ; d'autres pas. Il y en a certains à qui j'ai demandé de participer comme une faveur personnelle, c'est le cas de Salman Rushdie ou de Gabriel Byrne. Le but était de réunir un groupe d'auteurs qui porteraient ce projet car il fallait réunir des fonds et acquérir une visibilité pour que «Narrative 4» fonctionne. C'était donc très amusant de réunir des gens qui pouvaient être là et voulaient écrire. Maintenant, beaucoup de personnes qui n'ont pas pu venir me disent qu'elles auraient aimé faire partie de l'aventure parce que c'est devenu une organisation très sympa, et je reçois de nouvelles demandes à présent pour rejoindre le groupe, avec - qui sait ? - de nouveaux projets comme «Être une femme» ou «Être un adolescent».

Parutions.com : Y a-t-il une histoire du recueil que vous aimez particulièrement ?

Colum McCann : Oui, celle de Gabriel Byrne qui n'avait jamais écrit de fiction avant cela. C'est un immense acteur que ses compatriotes irlandais adorent, et ce premier essai est très bon. J'adore tout dans cette histoire.

Parutions.com : Comment vous est venue votre propre histoire pour le recueil ?

Colum McCann : Cela m'est venu comme cela. Je voulais changer de point de vue et adopter celui d'une femme en travaillant la perception d'un homme par ce prisme, comment un homme doit être perçu, vous savez. Je voulais parler du démon de la guerre et si une femme devait être soldat au front ou pas. Je voulais ce décalage dans la perception pour mieux saisir ce qui fonde la masculinité, ce qu'être viril veut dire.

Parutions.com : Êtes-vous toujours aussi spontané dans votre façon d'écrire ? Quel type d'écrivain êtes-vous ?

Colum McCann : Le cas des nouvelles ou des histoires courtes comme celles-ci est particulier. Quand vous écrivez un roman, cela prend en général autour de deux ans ; vous êtes alors en exploration ; vous ne savez pas trop où vous allez mais vous y allez quand même. Vous vous perdez parfois, vous faites parfois des retours en arrière, à d'autres moments vous abandonnez et puis, parfois, tout s'éclaire. Mais je ne saurais pas me définir comme auteur. Ce que je peux dire, c'est qu'écrire directement sur moi-même ne m'intéresse pas. Je n'ai jamais écrit sur mes voyages ou mon expédition à vélo par exemple.

Parutions.com : Même pas sans vous en rendre compte ?

Colum McCann : C'est une bonne question car, oui, en effet, je suis constamment - mais inconsciemment aussi - dans le recours à mes expériences pour documenter et m'engager dans cette idée de l'Autre.

Parutions.com : Vous êtes un grand défenseur de l'idée de paix et vous en parlez d'ailleurs souvent...

Colum McCann : Oui, car la paix est fondamentale mais aussi quelque chose de très difficile à évoquer par l'écriture parce que c'est tellement impalpable. J'ai pu observer de près les ravages de la guerre, non seulement dans mon propre pays mais aussi à travers des amis qui l'ont vécue. J'ai écrit la préface de Fire and Forget, un recueil de récits de guerre par des vétérans revenus d'Irak, et sur le processus de paix. Je crois qu'il est de notre responsabilité de promouvoir la paix. On vous colle parfois l'étiquette de doux sentimental quand vous vous engagez ainsi ; il n'y a pourtant rien de tendre à se faire l'avocat de la paix ! Je crois au contraire qu'il faut être plus fort et plus agile pour mener ce combat-là. Je ne veux pas que mes enfants partent au front, cela me paraît tout simplement obscène. Je crois fermement qu'il faut parler haut et fort de tout cela et c'est en partie la raison d'être de «Narrative 4». Par exemple, nous avons tenu un atelier de ce type dans un lycée et c'était formidable parce que les jeunes devaient pour la première fois parler de l'altérité, se mettre à la place de l'Autre. Prendre la responsabilité de l'existence d'un autre est quelque chose de radical. Le résultat de cela fut que non seulement ces jeunes ont pu surmonter leurs propres traumatismes mais ils ont aussi fondé un groupe de non violence et de contrôle du port d'armes à feu. Tout cela après avoir raconté et partagé leurs histoires. Car comprendre l'autre sape la violence. Comprendre l'autre aide à se comprendre finalement soi-même. On se comprend à travers la connaissance de l'autre, et il est bien plus difficile de lâcher un missile sur un marché de Bagdad quand vous connaissez la personne qui vend là ses fruits. Quand toute chose perd ses visages, l'empathie s'envole et ce que l'autre peut sentir ou ressentir ne vous importe plus. L'oxygène du monde est là, dans notre propension à devenir l'Autre.

Parutions.com : Avez-vous d'autres projets concernant «Narrative 4» ? D'autres projets en général ?

Colum McCann : J'aimerais bien construire un projet avec Barack Obama que j'aime et respecte. Je suis également en train d'écrire des nouvelles, je suis sur deux livres, je réécris mon film. Mais je suis aussi papa, entraîneur de foot et professeur ! Je suis tout cela à la fois !

Parutions.com : Le public français apprécie énormément votre œuvre ; pensez-vous qu'il y ait dans la culture française quelque chose qui explique cet engouement particulier ?

Colum McCann : C'est vrai que je suis toujours accueilli à bras ouverts ici, et j'adore la France moi-même. Cela fait environ vingt d'ans - alors que je débutais ma carrière d'écrivain - que cet intérêt se manifeste. Je crois que les Français sont des lecteurs aguerris qui ont tendance en général à apprécier le travail sérieux. Mais je n'ai pas d'explications plus poussée ; je me sens simplement très chanceux. La France fait aussi partie de ces pays très ouverts à la littérature étrangère, ce qui est moins le cas aux États-Unis ou en Irlande, où la traduction n'a de toute façon pas bonne presse.

Parutions.com : Merci.

Entretien mené à Paris et en anglais par Kahley Hickman, le 5 juin 2014 (Traduction : Thomas Roman)
( Mis en ligne le 27/06/2014 )
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