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Entretien avec Craig Davidson - (Cataract City, Albin Michel, Août 2014)



- Cataract City, Albin Michel, Août 2014, 484 p., 22,90 €, ISBN : 978-2-226-25974-5

Noirceur & Espoir

Parutions.com : Pourquoi avoir choisi les chutes du Niagara comme lieu du récit?

Craig Davidson : J'ai grandi à St. Catherines qui est à 20 km au sud des chutes. J'ai travaillé dans un Marineland, une sorte de parc Seaworld mais meilleur marché et de moins bon standing. J'ai donc côtoyé beaucoup de gens qui venaient des chutes, j'ai appris à les connaître et à devenir leur ami, à connaître leurs familles aussi. C'était un choix naturel pour moi que mon livre s'inscrive dans ce lieu. En fait, la plupart de mes romans sont situés dans cette région.

Parutions.com : Tous vos romans contiennent un combattant comme personnage, voire comme personnage principal. Y'a-t-il une raison à cela ? On peut lire sur votre site Internet que vous n'avez jamais boxé jusqu'au moment où vous avez voulu promouvoir vos romans.

Craig Davidson : Je crois que la boxe est au cœur de certaines de mes propres obsessions : les ressources du corps et la force du caractère mais aussi cette espèce de folie masculine et ce besoin qu'ont certains hommes de faire plier leur corps et leur esprit, leur vie aussi, au service d'une sorte d'idéal masculin un peu dingue, et compassé en vérité. Je crois qu'on peut dire que pour moi le sport est une sorte de vecteur qui porte mes idées sur ce qu'être un homme veux dire de nos jours et à mon âge. Mais je crois que j'ai atteint mes limites avec la boxe. Je viens d'écrire un recueil de nouvelles qui fait suite à Cataract City et il n'y a aucun boxeur là, pas un seul combat, si je me souviens bien !

Parutions.com : Avez-vous déjà assisté à des combats à mains nues ou à des courses de chiens ?

Craig Davidson : Oui, bien sûr, tout le temps ! Chaque soir, j'embrasse mon fils et ma femme et je file aussitôt voir un combat à mains nues ou un combat de chiens enragés !... Non, bien sûr que non. En fait, je ne suis pas du tout fait pour ce genre de choses. Un match de boxe, passe encore. Je pense que je pourrais regarder ça mais un combat de chiens me dégoûterait et je me sentirais très déprimé de me retrouver là. Pour moi, il ne s'agit que de recherche, d'imaginer ce que ce serait d'assister à ce genre de choses et il me suffit d'être simplement un pas devant mon lecteur, il faut que j'en sache un peu plus que mon lecteur. Tout est donc question de recherche et de préparation plutôt que d'une expérience réelle.

Parutions.com : Dans le roman, Dunk dit qu'il a de la chance. Pourtant, Owen pense qu'ils sont tous les deux sous le coup du sors. Quel est votre point de vue ici ? Avez-vous tendance à voir le verre à moitié vide ou à moitié plein ?

Craig Davidson : Pour les deux personnages, je le vois à moitié plein. En fait, c'est le cas pour tous mes personnages car, au final, je suis un optimiste. Quand j'imagine ce que deviennent mes personnages après que j'ai écrit la dernière phrase d'un livre, je les vois aller de l'avant, heureux, même si je les laisse dans une mauvaise posture ; je les vois aller vers la grâce, une sorte de noblesse, un certain sens du bonheur ; et si ce n'est pas pour eux-mêmes, au moins est-ce pour ceux qu'ils aiment.

Parutions.com : Quand les garçons sont plus jeunes, ils ont cette obsession du catch. Pourquoi avoir préféré ce sport au football ou au base-ball, par exemple ? Regardiez-vous des combats quand vous étiez plus jeune ?

Craig Davidson : Oui, cela me plaisait quand j'étais enfant. J'imagine que c'est plus populaire et important en Amérique du Nord que ça ne l'est en Europe. Beaucoup de garçons grandissent en idolâtrant des catcheurs professionnels. Mais je pense que les vies de plusieurs combattants professionnels sont plutôt tristes au final. Le film The Wrestler joue un rôle important en montrant cela, comme le documentaire Beyond the Mat. Cette idée qu'un homme doit se battre avec son propre personnage et sa vie après que son corps a été détruit par le combat et que la grande époque des contrats et des spectacles est terminée, était quelque chose d'intéressant à explorer pour moi.

Parutions.com : Dunk et Owen empruntent des chemins différents mais, à cause de leur histoire, ils restent amis. Avez-vous tiré cet aspect du roman de votre propre expérience ?

Craig Davidson : Oui, bien sûr, d'une certaine façon. Je pense que la chose la plus difficile avec de vieux amis et de réaliser qu'au final vous n'avez plus tant de choses que ça en commun... Quand vous rencontrez un copain à l'école, les choses sont aussi simples que d'aimer, lui et vous, les bonbons ; cela suffit comme point de départ pour une amitié solide. Mais quand le temps passe et que vous changez, vous finissez par voir le monde différemment, tel qu'il est et tel qu'il devrait être, et vous vous éloignez au point que vous pouvez finir par ne plus vous aimer l'un l'autre. C'est quelque chose de triste, n'est-ce pas ? Ça m'est arrivé, avec regret, mais les gens changent, c'est inévitable, et ces changements séparent les individus.

Parutions.com : Vous changez souvent de perspective et voyagez dans le temps à travers le roman. Pouvez-vous nous expliquer le choix de cette structure ?

Craig Davidson : C'est en fait une idée de mon éditeur et ce fut un grand changement car au départ la structure du livre était totalement linéaire. Elle suivait les enfants à 12 ans puis 15, puis dans la vingtaine, et finalement au milieu de la trentaine. Mon éditrice Lynn Henry a décidé de restructurer la narration comme un boomerang qui irait et viendrait dans le temps. Cela a été une modification importante qui a impliqué de la réécriture, mais je suis très content du résultat.

Parutions.com : Il y a quelque chose de très beau dans la façon qu'ont les deux garçons de s'échapper des situations difficiles en se racontant des histoires : les chiens dans l'espace, l'araignée sous le Niagara, l'homme qui a enterré les corps à l'envers... Comment ces histoires vous sont-elles venues ? Est-ce que quelqu'un vous les a racontées ou les avez-vous imaginées ? Racontez-vous des histoires de ce type à votre fils ?

Craig Davidson : Tout est le fruit de mon imagination et vous avez raison : je pense que ces moments apportent un changement et un rythme salutaire en contrepoint de la noirceur et de la dureté physique auxquelles ils doivent faire face. J'aime introduire ce soupçon de fantaisie dans la réalité, c'était l'idée générale derrière ces sections : un peu de lumière pour faire croire. Je n'ai pas raconté de contes de ce type à mon fils encore. Docteur Seuss joue ce rôle maintenant. Mais quand il sera un peu plus grand, j'espère le faire.

Parutions.com : Dans Cataract City, Dunk est constamment frappé et abattu. Vous utilisez un vocabulaire médical et physiologique très détaillé pour ces actions sur le corps. D'où vous vient cet intérêt ?

Craig Davidson : Je pense que c'est une fascination naturelle pour moi. Vous savez, on n'a qu'un seul corps et il faut le traîner toute sa vie. Ce corps est battu, malmené, des choses lui arrivent qui ne peuvent pas être arrangées. Nous devons grandir et vieillir avec ce nouveau sens du corps et accepter ses nouvelles fragilités. Or vous avez ici un personnage dont le caractère et le sentiment de force lui viennent de son propre corps, et qui voit ce corps changer et se dégrader, ce qui revient à une érosion de sa personne elle-même... Je crois que c'est ce qui m'intéresse le plus et qui explique mon obsession avec les corps.

Parutions.com : Qui sont vos auteurs de romans noirs ou de romans d'horreur préférés et pourquoi ?

Craig Davidson : Stephen King. Point, barre. Il l'a toujours été. Bien sûr, il parvient à vous faire mourir de peur mais il a aussi un sens très aigu de la condition humaine et de la construction des personnages ; il peut écrire des livres véritablement prenants et passionnants. J'ai toujours été impressionné par son œuvre d'autant plus maintenant que moi-même je suis écrivain et plus seulement ce lecteur adolescent qui l'a immédiatement adoré.

Parutions.com : Pouvez-vous nous expliquer le recours au pseudonyme pour certaines de vos œuvres ?

Craig Davidson : C'est plutôt l'idée de mon agent qui a pensé qu'il était nécessaire de séparer les deux sphères. J'ai fait confiance à son instinct.

Parutions.com : Quel est selon vous le thème principal qui parcourt toute votre œuvre et quel est le message que vous voudriez que les gens tirent de Cataract City ?

Craig Davidson : Aussi étrange que cela puisse paraître, je pense qu'il s'agit de l'espoir. Même dans les situations les plus dures et les plus désespérées, mes personnages essaient toujours de faire pour le mieux, parfois contre leurs propres instincts. Ils affrontent le pire mais ils essaient toujours de faire du bien aux autres et de construire leur propre vie, de trouver cette étincelle du divin... Et s'ils n'y arrivent pas, au moins auront-ils essayé ; c'est cette tentative qui compte, je pense, que ce soit dans la fiction ou dans la vraie vie...

Parutions.com : Pour finir, pouvez-vous nous dire sur quoi vous travaillez en ce moment ?

Craig Davidson : Eh bien, il y a le recueil de nouvelles donc je viens de parler et aussi un projet de non-fiction, et bien sûr encore un livre noir. Plusieurs livres à l'horizon, donc. C'est sûr.

Propos recueillis par Kahley Hickman en juillet 2014 (Traduction de l'anglais : Thomas Roman)
( Mis en ligne le 01/10/2014 )
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