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Littératureet Poches  

Alyah
de Eliette Abécassis
Le Livre de Poche 2017 /  6.90 €- 45.2  ffr. / 250 pages
ISBN : 978-2-253-07070-2
FORMAT : 10,8 cm × 17,8 cm

Première publication en mai 2015 (Albin Michel)

Aller simple

Eliette Abécassis évoque ici le traumatisme provoqué par la montée de l'antisémitisme en France. Son double, peut-on dire, Esther Vidal, jeune mère divorcée et enseignante, hésite depuis les derniers ''événements'' et se pose LA question comme la plupart des Juifs de France : doit-elle rester malgré tout ou faire son «Alyah», partir en Israël, terre promise, définitivement, comme des milliers de Juifs qui mettent chaque année tous leurs espoirs dans une nouvelle vie sur le sol de leurs ancêtres ? Sauf que... Esther est alsacienne et surtout française : sa généalogie, inscrite dans les manuscrits du Comtat Venaissin, remonte au premier siècle après Jésus-Christ.

Traumatisée par le martyre d'Ilan Halimi à Bagneux en 2006, la massacre à l'école Ozar Atorah de Toulouse en 2012, la tuerie du musée juif de Bruxelles au printemps 2014, les meurtres de l'hypermarché cacher à Paris le 9 janvier 2015, elle est déçue par l'attitude des Français qui écrivent partout «je suis Charlie» suite à l'assassinat des journalistes mais jamais «je suis juif». «Depuis toujours les Juifs disent : l'an prochain à Jérusalem. Peut-être est-il temps d'y aller (...) C'est vrai, de plus en plus de Juifs quittent l'Europe, la Norvège est presque Judenfrei».

Esther, juive pratiquante qui étudie les textes sacrés, enseigne dans un collège public d'une ZEP où les élèves, instrumentalisés par les adultes de leur cité, la traitent de «feujh». Elle ne comprend pas le rejet dont elle est victime sous prétexte qu'elle est juive. Tout au long du récit, le traumatisme transparaît ; il empoisonne jusqu'à la vie privée de la narratrice. Sous les mots d'Esther, affleurent l'angoisse de l'auteur, dominée par la douleur devant ces actes abominables, la colère devant l'indifférence générale des «goy» et sa détresse face à un avenir privé de prise de conscience collective. «Et nous, quel chemin suivrons-nous ? Celui qui, au sein de notre pays nous pousse vers la lutte contre le nouvel obscurantisme ? Ou celui qui nous mènera à la fuite devant les forces les plus obscures ? Celui de la sécurité ou de l'aventure ? Du néant ou de l'inconnu ?».

Le monde occidental connaît depuis quelques décennies un bouleversement tragique avec l'harmonie perdue entre le peuple juif et le peuple musulman, ce dernier n'ayant jamais accepté la création de l'état d'Israël en 1948 en Palestine. Ces deux communautés vivaient en paix dans le dernier bastion de l'harmonie, l'Afrique du Nord, avant la décolonisation, quand tout a changé ; avec une autre guerre sans merci jusqu'à notre porte. Mais Esther aime la France de façons charnelle et intellectuelle, héritière d'une dynastie d'enseignants universitaires. La vie a changé, il faut être un héros pour vivre une vie juive libre, dans le métro, à l'école et dans son métier. Sinon, il faut cacher toute trace susceptible d'identification. Esther met toute sa foi dans les livres qui l'aident à surnager devant ce danger perpétuel. «Pourquoi lit-on ? Pour se construire une mémoire collective, une mémoire commune. Un terreau imaginaire, un terreau virtuel. Une mythologie intime et collective. Pour se forger une conscience. Pour avoir envie d'aimer. Parce que lire nous donne des idées».

A la suite des événements récents, un nouveau contexte qui ont poussé Eliette Abécassis à lancer un cri de colère et de désespoir, la réponse des Juifs de France est divisée : certains resteront malgré tout ce qui peut arriver dans ce pays parce qu'il est le leur, et d'autres le quitteront pour anticiper un départ devenu inéluctable. République, identité(s), communautarisme(s)... Mais pourquoi quitter le pays qui a vu la naissance de la Kabbale, texte fondateur, à Vauvert, à la fin du XIIe siècle ? C'est une oeuvre spirituelle et intellectuelle parmi les plus importantes de notre histoire, qui organise les conditions d'intégration du monde et de la société à Dieu.

Alyah est un roman didactique, très agréable à lire, et nécessaire en cette période troublée, sans grand espoir de solution.

Eliane Mazerm
( Mis en ligne le 10/03/2017 )
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