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Littératureet Récits  

Journal 2016
de Laurent Herrou
Jacques Flament Editions 2017 /  18 €- 117.9  ffr. / 268 pages
ISBN : 978-2-36336-3110-7
FORMAT : 14,5 cm × 20,0 cm

L’auteur du compte rendu : Arnaud Genon est docteur en littérature française. Il enseigne actuellement les lettres et la philosophie en Allemagne, à l’Ecole Européenne de Karlsruhe. Visiting Scholar de ReFrance (Nottingham Trent University), il a notamment publié Hervé Guibert, l'écriture photographique ou le miroir de soi (Presses Universitaires de Lyon, en collaboration avec Jean-Pierre Boulé, 2015) et un roman, Tu vivras toujours (La Rémanence, coll. Traces, 2016).

Herrou ou l’art du quotidien

L’écriture est, pour Laurent Herrou, un art du quotidien. Elle se pratique chaque jour et chaque jour consigne le vécu et le ressenti, le banal et l’extraordinaire, les joies et les peines. Chaque jour, elle transmue le réel en littérature. Avec Laurent Herrou, il n’y a pas de tabou, seulement de la matière : reste à la sculpter, à lui donner forme et sens.

Cet art du quotidien se trouve tout entier dans son Journal 2016 que publient les éditions Jacques Flament. S’il fait suite à son Journal 2015, publié chez le même éditeur l’année dernière, c’est davantage dans la lignée de Je suis un écrivain (Publie.papier, 2013), autofiction dans laquelle l’auteur interrogeait le statut de l’artiste dans la société, qu’il se situe. Car le Journal est souvent l’occasion, pour Laurent Herrou, de l’affirmer, de le réaffirmer : «Je m’appelle Laurent Herrou, je suis un écrivain». Il lui faut l’écrire pour lutter contre les doutes qui l’assaillent régulièrement, pour trouver sa place dans une société qui ne reconnaît pas à sa juste valeur le travail des artistes. «C’est toi qui ne trouve pas ta place dans la société. Ne l’as jamais trouvée. Tu ne trouves même plus ta place dans ton propre Journal, regarde : tu encore». Le «tu» chasse le «je». Sentiment de «hors-je/u» social quand le manque d’argent le ronge et ronge jusqu’à sa propre légitimité alors que son œuvre – une quinzaine de livres en quinze ans – témoigne de son talent.

Pas de tabou, chez Laurent Herrou. La sexualité vient combler le vide d’une reconnaissance qu’il ne trouve que dans les projets que lui propose la Maison de la Culture de Bourges. «La sexualité nourrit ton Journal», note-t-il. Elle le nourrit lui aussi qui s’affirme dans un désir de corps, de rencontres, d’expériences nouvelles avec ou sans celui qui devient son mari en septembre 2016. Ainsi, comme chez Hervé Guibert, «L’écriture intime [devient] une écriture du corps, où le corps impose ses signes comme autant de signes du moi» (Michel Braud, La Forme des jours. Pour une poétique du journal personnel, Seuil, coll. Poétique, p.82.).

Au cœur de ces tumultes que provoquent les désirs, apparaissent des moments de grâce, tristes eux aussi, mais qui marquent comme un apaisement, le retour à l’esprit dans sa dimension la plus pure. La mort des oies Worth et Rita et, plus tard, la disparition de la grand-mère tant aimée laissent place à des pages où le «je» tendu vers l’autre se libère de toutes ses angoisses, de tous ses désirs et de ses frustrations.

Le Journal 2016 est assurément plus sombre que celui de 2015. Mais il garde la puissance et la beauté d’un objet brut – la vie – polie par les mots. «Plus sombre ?», s’interroge l’écrivain. «Peut-être. Plus réel, plus ancré. Plus intime aussi. Il n’y a rien à cacher : écrire, c’est donner ce qui fait que l’on est soi. Ce qui fait que l’on est différent de l’autre». Là-dessus, il n’y a rien à redire. L’écriture de Laurent Herrou explore le «je» comme peu le font aujourd’hui encore. Et c’est de là, de ce «je» fragile et fissuré, que son écriture tire sa plus grande force.

Arnaud Genon
( Mis en ligne le 09/06/2017 )
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