L'actualité du livre
Littératureet Policier & suspense  

Hypérion victimaire, Martiniquais épouvantable
de Patrick Chamoiseau
elb - Vendredi 13 2013 /  15 €- 98.25  ffr. / 316 pages
ISBN : 978-2-35306-053-5
FORMAT : 14,0 cm × 19,5 cm

Patrick Chamoiseau, Martiniquais formidable

Vendredi 13 : tel est le point de départ commun aux treize romans, de treize auteurs, réunis dans la collection du même nom aux Éditions La Branche. De la tension dramatique née de cette contrainte d’écriture, Patrick Chamoiseau s’empare dès le titre pour livrer un roman noir particulièrement réussi.

Lors de l’ultime nuit de garde de sa longue carrière, le commandant de police Éloi Éphraïm Évariste Pilon se retrouve face à un tueur psychopathe, celui qui s’appelle Hypérion victimaire et se définit lui-même comme «un massacreur, un égorgeur de chose, un défonceur de chair, un déchireur de peaux, un briseur de vertèbres, un démanteleur de hanches, d’épaules et de cous, un écarteleur de poitrine, un dérouleur de boyaux et, parfois, en certaines circonstances, un très goulu buveur de sang». Tandis qu’il le met en joue au bout de son pistolet, cet «archange de la mort» se confie au vieil «inspectère», brossant ainsi un tableau sans concession de «ce que la Martinique avait sans doute produit de plus épouvantable» : la misère, la drogue, le viol et la violence, la prostitution, la folie, le crime sous toutes ses formes, la mort enfin. Ces réalités terribles, ce sont aussi celles qui ont peuplé l’existence malheureuse du commandant, dont la femme, Thérèse, s’est suicidée et la fille, Caroline, enfuie jusqu’à se perdre, elle aussi, dans les tentations et «les méandres de l’En-Ville». Ce qui constitue ce huis-clos bouleversant, c’est donc le dialogue tragique entre la mémoire de cet homme brisé et la funeste «confidence» du «monstre» qui le menace.

Prix Goncourt en 1992 pour Texaco, Patrick Chamoiseau fait ici une nouvelle fois la preuve, dans un genre inédit pour lui, de son immense talent d’écrivain et de conteur – de maître de la parole. Mêlant tous les genres littéraires – du théâtre à l’écriture cinématographique – dans la composition de ce roman singulier, l’auteur y donne à voir son amour passionné pour la langue créole et la jubilation qu’il éprouve à la manier, au cœur même de ce lyrisme de l’horreur.

Car c’est bien d’abord le langage, dans sa richesse et son foisonnement, le véritable personnage de ce roman en forme d’allégorie de la terre natale. Saint-John Perse et Aimé Césaire : à travers la référence à ces deux figures tutélaires, Patrick Chamoiseau dit bien, au-delà de la noirceur du mal, sa confiance inaliénable dans le pouvoir des mots et leur vertu à la fois libératoire et réconciliatrice : «Nos parents se sont battus, inspectère, pour arracher ce français que l’on ne nous donnait qu’à l’école, ils se sont battus pour échapper aux champs de cannes où régnait le créole, oui d’accord, c’étaient des aliénés, ils ne savaient pas que le créole était une vraie langue, aussi belle et somptueuse que le français dans son histoire latine, mais grâce à eux nous avons conquis un langage, une décision de notre parole entre créole et français, avec créole et français, et nous le distillons maintenant comme deux jeux de lumière, et c’est là que se porte et se transporte une bonne part de notre humanité !».

Au moment où l’on commémore le centenaire de la naissance du «nègre fondamental», Patrick Chamoiseau nous rappelle, de manière éblouissante, que la littérature créole n’a jamais été aussi vivante et aussi chatoyante.

Sarah Devoucoux
( Mis en ligne le 12/07/2013 )
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