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Jules Verne - De la science à l'imaginaire
de Philippe de La Cotardière et Collectif
Larousse 2004 /  35 €- 229.25  ffr. / 191 pages
ISBN : 2-03-505435-4
FORMAT : 24x30 cm

Science et fiction au XIXe siècle

Si Jules Verne et les voyages extraordinaires sont encore une référence (pour Disney – hélas – mais également pour tout amateur de SF qui se respecte), c’est parce que le XXe siècle aura souvent donné corps aux rêves du gamin de Nantes qui voulait tout jeune s’embarquer autour du monde.

Précurseur de la science fiction, prophète d’un siècle que la science aurait transformé, Jules Verne a converti à la religion du progrès – ce positivisme ou ce scientisme dont la Grande Guerre illustra les limites – nombre de ses contemporains, et mis en scène dans ses 62 romans «le cycle complet d’un changement de société». Combien d’enfants seront descendus au centre de la Terre, auront plongé dans le Nautilus, passé cinq semaines en ballon ou même voyagé jusqu’à la Lune par le fût d’un canon gigantesque… Lire Jules Verne (dans l’édition Hetzel, forcément) aura été une expérience formatrice pour des générations de petits Français (et d’autres, comme Guillaume II qui regretta de ne pas avoir suivi son enterrement !) et une initiation aux «mystères de la science».

Avec ce magnifique ouvrage, dirigé par Philippe de la Cotardière, journaliste scientifique, et élaboré grâce au Centre international Jules Verne d’Amiens, présidé par Jean Paul Dekiss, les lecteurs nostalgiques, comme les amateurs d’histoire en général, peuvent se plonger dans les sources de l’inspiration de l’écrivain.

L’ouvrage, admirablement illustré (peintures, photos, reconstitutions, illustrations tirées des romans, des adaptations cinématographiques de Méliès…) commence avec une partie biographique assez complète sur Jules Verne, où les documents personnels abondent (lettres, photos) ainsi que les jugements des contemporains. Mais le cœur de l’ouvrage est formé par les 62 romans et leur inspiration. Aussi part-on dans un premier chapitre à la découverte de ce «siècle du progrès» décliné par diverses sciences. On y croise, pêle-mêle, les conseillers scientifiques de Jules Verne et nombre de savants. Mais il s’agit surtout, au fur et à mesure de l’œuvre naissante (qui commence avec Cinq semaines en ballon), d’esquisser un tableau des connaissances et des réalisations du XIXe siècle, partant des efforts de Lavoisier (1780) jusqu’à l’Exposition universelle de 1900. L’exposé porte sur l’astronomie, la physique, la chimie, la biologie et leurs applications au temps des révolutions industrielles (les transports, mais aussi les matériaux nouveaux et les moyens de communication). Par ailleurs, les auteurs n’omettent pas les débats du temps et nous montrent par exemple un Jules Verne demeuré obstinément l’adversaire du Darwinisme et de l’évolutionnisme en général (on ne peut pas être toujours prophète !). Toutefois, une référence à Auguste Comte et à son système, ou encore au saint-simonisme, aurait été la bienvenue pour décrire un paysage intellectuel original.

De la science, on passe aux voyages (extraordinaires) qui sont le «programme» de Jules Verne (quoique le titre même vienne de Hetzel). On y découvre un écrivain voyageur et surtout navigateur passionné, que la mer aura largement inspiré. Ce chapitre porte sur l’exploration du globe, depuis les grandes expéditions du XVIIIe siècle (qui embarquaient autant de savants que de marins) et la découverte de l’Afrique, jusqu’aux Pôles. Mais – et c’est l’une des plus belles trouvailles de Jules Verne – l’exploration ne se limite pas à la terre ferme : l’écrivain aura vagabondé dans les profondeurs des mers et de la terre, comme dans les airs, à la recherche de l’Atlantide (non sans que l’ouvrage ne relaie le mythe de l’île disparue, négligeant les recherches historiques actuelles qui évoquent un mythe politique).

Verne aura également rêvé les moyens de transports futurs, et appartenu, comme nombre de sommités, aux sociétés d’encouragement du transport aérien et du culte de «la sainte hélice» (Nadar). Le cosmos, bien évidemment, représente l’ultime frontière : féru d’astronomie, l’écrivain est convaincu de la possibilité de conquérir la Lune (habitée ou non ? l’affaire est débattue et si l‘astronome Camille Flammarion rêve des Sélénites, c’est finalement l’écrivain qui vit sa prudence triompher…). Son enthousiasme aura stimulé les ingénieurs et les scientifiques, et ouvert à ses lecteurs les portes d’un futur qui, par endroit, relève encore du nôtre (comme dans La Journée d’un journaliste américain en 2889, ou encore L’Île à hélices et ce terrifiant Paris au XXe siècle, au scientisme quasi totalitaire).

C’est donc un fort bel ouvrage qui, par le biais de l’œuvre de Jules Verne, livre au lecteur un grand tableau des connaissances scientifiques au XIXe siècle, servi par une iconographie abondante et quelques annexes précieuses (un tableau des pays traversés par les «Voyages extraordinaires», une chronologie générale du siècle de Jules Verne) qui font regretter l’absence d’un index et d’un sommaire ! Il s’agit surtout d’un éloge à la curiosité insatiable de Verne, curiosité qui alimente ses rêves de progrès. On pourrait voir en lui une version littéraire de l’honnête homme, qui aura voulu tout comprendre de son époque et de ses contemporains, ainsi qu’un «vulgarisateur» de génie (mais le mot est trop laid).

Reste le constat d’une œuvre qui aura, souvent, anticipé notre temps… Les voyages extraordinaires sont-ils donc dépassés ? Si les rêves de Jules Verne ont fini par nous rattraper, son œuvre démontre que l’imagination et la curiosité demeurent intemporelles. Et à voyager dans cet ouvrage passionnant à la curiosité contagieuse, on se surprend à espérer un nouveau Jules Verne.

Gilles Ferragu
( Mis en ligne le 04/11/2004 )
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