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Truffaut par Truffaut
de François Truffaut et Dominique Rabourdin
Editions du Chêne - Cinéma de toujours 2004 /  50.90 €- 333.4  ffr. / 257 pages
ISBN : 2-84277-591-0
FORMAT : 25x31 cm

Truffaut ressuscité

Pour commémorer les vingt ans de la disparition de François Truffaut, les éditions du Chêne ont choisi de laisser la parole au réalisateur lui-même. Truffaut par Truffaut, publié dans la collection «Cinéma de toujours», qui compte déjà deux volumes consacrés à Tex Avery et Greta Garbo, est le produit de ce pari pleinement réussi.

Le principe est très simple : Dominique Rabourdin, co-directeur de la collection et maître d’œuvre de ce volume, a choisi de s’effacer derrière le réalisateur, lui laissant la parole. A cette fin, il a rassemblé un nombre considérable de documents écrits, extraits d’articles, d’interviews ou d’interventions publiques données par François Truffaut, et les confronte à des documents iconographiques tout aussi nombreux et diversifiés : photogrammes, clichés pris lors de tournages, photos diverses, mais aussi reproductions de documents de travail, de notes ou de lettres autographes du réalisateur.

Un premier chapitre, intitulé «Autobiographie», retrace, au gré des confidences, l’itinéraire du réalisateur tour à tour enfant turbulent, critique autodidacte à la dent dure, et bien sûr brillant cinéaste, ami de Renoir et de Hitchcock, réclamant la «fermeture» du Festival de Cannes en 1968 et n’hésitant pas à descendre dans la rue pour vendre La Cause du Peuple dans la rue aux côtés de Jean Paul Sartre et Simone de Beauvoir en juin 1970. Le second chapitre, qui constitue en fait le corps de l’ouvrage, est un recueil de vingt-cinq monographies consacrées aux films réalisés par Truffaut, depuis Une visite, sorti en salle en 1954, jusqu’à son ultime opus, Vivement Dimanche !, sur les écrans en 1983. Au fil de ces pages, très richement illustrées, le cinéaste explique ses choix cinématographiques, pourquoi il a choisi de mettre en scène tel scénario, livre des anecdotes sur les circonstances des tournages, les raisons de ces choix de tel acteur ou telle actrice et rend compte des rapports qu’il entretenait avec eux. Mais les confidences de Truffaut dépassent cette seule dimension anecdotique. Les dossiers de presse accompagnant les films mais aussi les interviews données sur le moment ou a posteriori dévoilent ce qu’il estimait être la signification profonde de ses films, leur place dans son propre cheminement esthétique et intellectuel, ses regrets aussi…

C’est néanmoins dans le troisième chapitre, plus bref, intitulé «Le cinéma selon Truffaut, la théorie et la pratique», que s’exprime le mieux le regard du cinéaste. Il cesse alors d'évoquer ses films pour parler du septième art. Dans une série de courts paragraphes, extraits une nouvelle fois d’interviews, Truffaut s’exprime sur des sujets aussi divers que l’improvisation, le métier de producteur, les films de propagande, les rapports entre le cinéma et les arts plastiques, la musique… Loisir est laissé au lecteur de collecter les pièces de ce puzzle et d’essayer de reconstituer la vision du cinéma, qui sous-entend le propos du cinéaste. Attention alors de ne pas durcir ni dévoyer la pensée de Truffaut. Dans ces extraits, c’est bien un point de vue sur le cinéma qui s’exprime et non une théorie, et le réalisateur prend bien soin de le souligner : préférant laisser le rôle de théoricien à d’autres, il note : «Si moi, Truffaut, je suis un cinéaste sans théories, c’est que je trouve que toutes les théories sont bonnes». Le cinéma de Truffaut est avant tout un cinéma d’auteur, de créateur, mais sans visée idéologique ou théorique particulière : la volonté de faire école s’efface derrière la singularité de l’écriture individuelle.

Destiné à un large public, Truffaut par Truffaut est un très beau livre, émouvant, richement illustré, que l’on ne peut que vivement recommander. Si le choix, assumé par les concepteurs de l’ouvrage, de laisser la parole au cinéaste disparu, et donc de juxtaposer dans un même ouvrage des extraits d’articles ou d’interviews portant sur des sujets très diversifiés, implique un certain éclatement du propos, la qualité des photos, mais aussi l’acuité et la finesse du regard de Truffaut sur sa propre œuvre et sur le cinéma en général, font oublier ce léger désagrément. Lorsque les morts reviennent parler de leur vie et de leur œuvre, il serait vraiment injuste d’exiger d’eux un discours parfaitement construit et argumenté ; créer cette cohérence à leur place serait leur faire offense et, sans doute, trahir leur pensée. Acceptons donc ce livre tel qu’il est, et réjouissons-nous de l’occasion qui nous est donnée de lire ou de relire Truffaut.

Raphaël Muller
( Mis en ligne le 15/12/2004 )
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