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Pocheset Littérature  

Le Proscrit
de Sadie Jones
10/18 - Domaine étranger 2010 /  8.20 €- 53.71  ffr. / 377 pages
ISBN : 978-2-264-05029-8
FORMAT : 11cm x 18cm

Première publication française en janvier 2009 (Buchet Chastel)



Figure de l'Autre

Sadie Jones signe avec Le Proscrit un premier roman intense dans une ambiance d’après guerre la plus strictement anglaise, bourgeoise, empesée de bonnes manières et d’ordres moraux séculairement établis. Ici, les pensées, les sentiments sont tus, enfermés dans des cœurs trop pudiques, dans des attitudes impassiblement maladives. L’amoncellement de non-dits devient presque absurde et sans aucun doute révoltant, contraignant les familles paisibles en apparence à taire les plus monstrueuses vérités et les émotions les plus sincères. Il y a des drames qui couvent, inévitables, le mal s’insinue peu à peu dans les âmes candides et fragiles, dans une atmosphère, une tension se rapprochant de celles qui imprègnent les romans des sœurs Brontë. Et ce mal n’émane pas, en général, des coupables adroitement désignés par la bien pensante communauté, bien au contraire ; le rejet de la différence, de celui qui remet en cause le ronronnement du village aboutit à ces injustices terribles qui sont à l’origine de certains drames. Sadie Jones, ou une nouvelle plume capable de construire un roman psychologique sombre, décortiquant le mécanisme, parfois meurtrier d’une opinion publique se réjouissant du malheur des autres.

Waterford, modeste ville de la lointaine banlieue de Londres. La puissante famille Carmickaël, par la réussite professionnelle de Dicky, le patriarche, domine. Dans sa somptueuse et clinquante demeure, le couple et leurs deux filles, Tamsin et Kit, reçoivent régulièrement après la messe dominicale quelques invités pour le déjeuner. Non loin, la maison de la famille Aldridge est baignée par la spontanéité d’Elisabeth qui attend avec impatience le retour de Gilbert, son mari qui rentre de Londres, tous les soirs, par le train de 18 heures. Ses journées d’été s’organisent autour de leur jeune fils, Lewis. Lewis est très attaché à sa mère, leur lien est fusionnel ; en effet, durant la Seconde Guerre mondiale, Gilbert a été mobilisé. De cette absence paternelle durant les premières années de sa vie, le jeune garçon garde une distance et une méfiance vis-à-vis de son père. L’été de ses 10 ans, par une étouffante journée passée au bord de la rivière, Elisabeth se noie devant ses yeux. Cet accident fait basculer le cours de l’existence de la famille Aldridge mais aussi celle de l’ensemble de la petite ville provinciale.

Confronté à la mort brutale de sa femme et à son malaise face à son jeune fils, Gilbert se consacre à sa carrière professionnelle, délaissant Lewis, non par désintérêt mais par incapacité à jouer son rôle de père. Son objectif est de se remarier rapidement afin, espère-t-il, de remplacer la place maternelle vide.

Lewis grandit dans le traumatisme de la noyade de sa mère qui devient au fil du temps presque surnaturelle. Incapable d’exprimer son mal être face à un père absent et une belle mère, Alice, centrée sur son propre désir d’enfant et son besoin d’être aimée, il adopte des comportements de plus en plus violents, notamment envers lui-même. La colère à fleur de peau et le sentiment d’injustice lui tordant le ventre, Lewis grandit et prend, aux yeux de la communauté de Waterford, le rôle du mauvais garçon, infréquentable, et envers lequel seule la méfiance et le rejet ont toute leur justification. Lewis, avec maladresse, ne fait qu’exprimer sa souffrance dans un monde où les mots ne sont utilisés que pour parler de morale ou discuter de banalités. Seule l’originale et sauvage Kit arrive à percer le mur de rage dans lequel il s’est enfermé...

Magistral !

Frédéric Bargeon
( Mis en ligne le 10/09/2010 )
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