L'actualité du livre
Pocheset Littérature  

Pas son genre
de Philippe Vilain
J'ai lu 2014 /  6 €- 39.3  ffr. / 155 pages
ISBN : 978-2-290-09261-3
FORMAT : 11,0 cm × 17,8 cm

Première publication en avril 2011 (Grasset)

L'auteur du compte rendu : Arnaud Genon est docteur en littérature française, professeur certifié en Lettres Modernes. Enseignant à Casablanca, il est Visiting Scholar de ReFrance (Nottingham Trent University). Auteur de Hervé Guibert, vers une esthétique postmoderne (L’Harmattan, 2007), spécialiste de l’écriture de soi dans la littérature contemporaine, il a cofondé les sites herveguibert.net et autofiction.org.


Les questions que l’amour pose…

Jusqu’à ce roman, Philippe Vilain racontait sa vie. Son œuvre était une illustration parfaite de l’autofiction qu’il avait lui-même théorisée de manière très juste à plusieurs reprises, dans Défense de Narcisse (Grasset, 2005) et dans L'Autofiction en théorie (Éditions de la transparence, 2009). Mais si avec Pas son genre on change apparemment de genre – le narrateur n’est plus l’auteur, il s’appelle François –, on retrouve cependant les thèmes de prédilection de l’écrivain : les relations hommes-femmes, la difficulté d’aimer, de s’engager…

Donc, François n’est pas Philippe, mais force est de constater qu’il lui ressemble… A l’instar du narrateur de Faux-père (Grasset 2008), il ne s’est «jamais résolu à [s]’engager, à [se] marier et à fonder une famille». Il cultive, en outre, un donjuanisme des temps modernes (Philippe Vilain est l’auteur d’un article intitulé «Le donjuanisme est un humanisme» in Dom Juan, Hatier, 2009) qui consiste à faire de l’engagement une «impasse», une entrave des libertés et qui érige en principe de vie «l’indécision» : «L’indécision continue d’être pour moi une qualité, le signe même d’une mobilité de caractère, d’un certain raffinement de l’esprit, l’œuvre de la lucidité qui me fait entrevoir aussitôt les multiples possibilités d’un problème, ses avantages et ses inconvénients».

Mais Pas son genre, ce n’est pas qu’une question de genre littéraire, c’est surtout une histoire de «type»… de femme. François est parisien, professeur de philosophie, à Arras. Il se fait régulièrement coiffer chez «Friselis» par Jennifer. «Elle avait l’allure de sa profession, la coquetterie surveillée des employés. Son chignon, ses lèvres carmin, jusqu’à son hâle permanent, son chemisier blanc qui corsetait sa poitrine lourde, l’apprêtaient trop me plaire». Ce n’est pas la rencontre d’Aurélien et Bérénice racontée par Aragon («La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide») mais ça y ressemble…

Celle qui, a priori, n’est pas faite pour lui, intrigue et attire Dom Juan. Rappelons-nous Charlotte et Mathurine. Il en va de même pour François. «Elle croyait à l’horoscope comme elle croyait à l’existence de Dieu». De son côté, il lit et cite Critique de la faculté de juger de Kant… Il l’invite alors qu’elle sort de son salon. C’est son côté Madame Bovary, femme de province déçue par les hommes, par l’amour, trompée par son mari qui excite sa curiosité.

Le jeu de l’amour est aussi un jeu de hasard disait Marivaux. Il en est de même ici : «Gagner me frustre. Il me semble alors que je joue davantage pour entretenir mon insatisfaction, que je ne cherche pas tant à gagner qu’à perdre». L’amour est un jeu car il faut se divertir de l’ennui et il est aussi, plus qu’une quête – Dom Juan encore – une fuite, «une manière de s’oublier»… François découvre avec Jennifer une sensualité nouvelle qui l’arrache «à l’ordre théorique du monde» et lui fait «sentir la vanité des choses intellectuelles». Mais ce qui le sépare de Jennifer est plus fort que ce qui le rapproche d’elle : «Tout nous séparait, un milieu social, une éducation, quelques années, quelques amours aussi».

Comment vivre alors cet impossible amour, celui pour une femme qui n’appartient pas à son milieu ? Comment se départir de ceux qu’on aime ? Philippe Vilain pose ici, encore de belle manière, les questions que pose l’amour. Et nous apprend aussi que les réponses ne viennent pas toujours de ceux de qui on les attendait…

Arnaud Genon
( Mis en ligne le 12/05/2014 )
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