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Pocheset Littérature  

Judas
de Amos Oz
Gallimard - Folio 2018 /  7,80 €- 51.09  ffr. / 381 pages
ISBN : 978-2-07-276507-0
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

Première publication française en août 2016 (Gallimard - Du Monde Entier)

Sylvie Cohen (Traduction)


Un hiver à Jérusalem-Ouest

En cette fin d’année 1959 à Jérusalem-Ouest, la vie de Shmuel Ash bascule. Les parents de l’étudiant hirsute ne peuvent plus financer ses études. De toutes façons, il n’arrivait plus à avancer dans ses recherches sur Jésus vu par les juifs. Sa compagne le quitte. Son groupe de réflexion socialiste se dissout. Shmuel décide d’abandonner ses études pour aller trouver du travail dans une ville nouvelle du désert du Néguev.

Mais au moment où il va mettre son projet à exécution, il tombe sur une annonce de travail inhabituelle : faire la conversation et tenir compagnie plusieurs heures par jour à un vieil érudit contre un petit salaire et le logement. Intrigué, il se rend à l’adresse indiquée, une mystérieuse et vieille petite maison en pierre de Jérusalem où vivent recluses deux personnes, Gershom Wald, un vieil invalide, et Atalia Abravanel, l’employeuse qui a rédigé l’annonce. Le bouillonnant, idéaliste mais timide Shmuel Ash va côtoyer dans la maison ces personnages que tout sépare, mais qui vivent ensemble. Qui sont-ils ? Qu’est-ce qui les lie ? Que s’est-il passé dans cette maison ?

Le calme de l’environnement contraste avec l’énergie des rencontres entre les différents personnages. La figure du traître a une place importante dans le roman, qu’il s’agisse des traîtres pendant la création de l’État d’Israël ou de Judas Iscariote lui-même. Le roman est ponctué de promenades dans la Jérusalem de la fin des années 1950, une Jérusalem pauvre, coupée en deux entre Israël et la Jordanie. Une Jérusalem où les Israéliens ne peuvent plus se rendre au mur des lamentations ou au campus historique de l’université hébraïque. Une Jérusalem où l’on craint aussi les tireurs jordaniens embusqués. Pourtant, on ressent dans le roman une grande nostalgie pour la ville de cette époque et c’est comme un privilège de pouvoir à nouveau s’y promener.

Judas est un roman exceptionnel, à la fois simple et riche, calme et bouillonnant. On se passionne facilement pour la rencontre des trois héros, l’évolution de leurs relations et les mystères de la maison. Les opinions tranchées des protagonistes agacent, amusent, émeuvent, interpellent ou réjouissent. Notez que l’auteur met en garde ceux qui chercheraient dans ce livre un manifeste de sa part, les opinions exprimées dans son roman sont celles de ses personnages et non les siennes. Pour connaître les opinions politiques d’Amos Oz, le lecteur est invité à consulter les tribunes qu’il signe dans les journaux plutôt que ses romans.

Sylvie Cohen propose une traduction pleine d’élan, très agréable à lire. Elle réécrit parfois légèrement le texte, même aux endroits qui pourraient supporter une traduction plus proche de l’original, créant éventuellement un glissement de ton ou de sens. Par exemple, chapitre 47, «Le grand prêtre et les chefs des prêtres» devient «le grand prêtre et toute la clique», ou encore chapitre 40, «comme beaucoup des anciens du Lehi» devient «comme la plupart des résistants». C’est parfois regrettable, mais heureusement dans l’ensemble, c’est très réussi.

Après la lecture de ce livre, on a l’impression d’avoir été face à un travail d’orfèvre finement ciselé et réfléchi. Derrière l’élégance du texte, on sent le sourire malicieux de celui qui aura peut-être pris à rebrousse-poil certains de ses lecteurs.

Nicolas Legrand
( Mis en ligne le 05/10/2018 )
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