L'actualité du livre
Pocheset Littérature  

La Joueuse de go
de Shan Sa
Gallimard - Folio 2003 /  4.60 €- 30.13  ffr.

Dans le jeu des empires

En 1931, le dernier empereur de Chine règne sans pouvoir sur la Mandchourie occupée par l’armée japonaise. Les conquêtes japonaises impriment à l’écrit un cadre plus ou moins rigide, un rythme : le choc des empires, l’armée, les guerres sont les pièces maîtresses des idéologies, par où se construit le récit. Ici, comme au go, on joue, mais grandeur nature : on déplace les peuples, on annexe les nations. Dans ce tournoiement des conquêtes et des empiétements, résonne le destin d’une joueuse de go prise dans le jeu des empires.

Ce récit est à deux voix : l’une est celle d’un jeune officier, l’autre celle d’une jeune collégienne. Affecté en Mandchourie, l’un doit alors quitter Mère pour servir la nation japonaise, se déraciner pour aider à l’expansion du territoire, servir la puissance japonaise. La seconde est partagée entre les avances de Cousin Lu et Min qui prend finalement sa virginité. Elle découvre l’amour et la sexualité qu’elle confesse à son amie Huong. Tout les sépare : sauf la mort. Dans la vie, comme au go, il suffit de peu, il suffit de jouer : "Cousin Lu m’a appris le go. J’avais quatre ans, il en avait le double". La stratégie nationale affecte alors la stratégie personnelle et l’un vient se greffer sur l’autre. La joueuse de go n’est pourtant pas un récit historique et le destin collectif n’est que la toile de fond d’un drame personnel : "Elevé dans un univers d’honneur, n’ayant connu ni crime, ni misère, ni trahison, je goûte pour la première fois la haine : un sentiment sublime, soif de justice et de vengeance".

Composé de 92 petits chapitres, alternant les voix, La joueuse de go décrit ces petites vies un peu perdues, qui s’entrechoquent sur la place des Mille Vents. On y joue au go et on meurt. A côté des portraits des compagnons de vie - Huong, Jing, Min - il y a la photographie discrète d’une atmosphère d’époque. Et face aux rencontres, derrière l’Histoire, toujours une sorte de prégnance érotique. Le poids des corps, des vêtements, des regards, la langueur des paysages. C’est la geisha Lumière qui occupe en partie le jeune officier, plus que les stratégies militaires. Et c’est encore davantage le jeu de la séduction entre Jing et Min qui intéresse.

Mais quand le destin collectif ou ce qui s’apparente à l’Histoire s’occupe de tout emmêler, la vie s’épuise et se contrarie. Comment donner un sens à sa vie, quand la nation est en déroute ?

Shan Sa est née à Pékin en 1972. Après avoir écrit dans sa langue une œuvre poétique, elle quitte en 1990 Pékin pour Paris et le chinois pour la langue française. En 1997, Porte de la Paix céleste (éditions du Rocher), reçoit la bourse Goncourt du Premier Roman.

Olivier Sécardin
( Mis en ligne le 13/01/2003 )
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