L'actualité du livre
Pocheset Littérature  

Douce France
de Karine Tuil
Le Livre de Poche 2008 /  5 €- 32.75  ffr. / 160 pages
ISBN : 978-2-253-12285-2
FORMAT : 11,0cm x 18,0cm

Première publication en janvier 2007 (Grasset)

Home, sweet home

Elle est écrivain et s'ennuie, traînant le passé d'une famille juive sépharade à ses basques, portant tout le poids de la diaspora sur ses épaules sans n'avoir jamais vraiment souffert autrement que par les vapeurs de souvenirs qui ne sont même pas les siens, accablée par le passé de ses pères : c'est une française qui se sent moins française parce que ses parents lui ont toujours appris la honte et la méfiance, la guerre contre l'accent et tout marqueur ethnique...

Est-ce pour cela, pour donner chair à cette non-condition, qu'elle s'embarque dans cette odyssée folle ? Pour vivre «pour-de-vrai», cette guerre faite par la France à tout ce qui ne lui est pas congénérique ? De Vichy aux lois Sarkozy, l'écrivain pose une passerelle et nous conte, le temps d'un séjour en centre de rétention administrative – Roissy, terminal 3 -, la dure condition d'un sans papier en France.

Elle se trouvait par hasard dans un Castorama où la police fit une descente, histoire de «rafler» quelques maçons moldaves, quelques plombiers polonais. Elle, avec son faciès, sans trop savoir pourquoi, n'ayant pas sur elle son portefeuille, son passeport, le sésame, elle se fait passer pour Roumaine et nous décrit cet envers obscur de l'administration française, patrie-des-droits-de-l'Homme, etc. «C'était un monde totalement clos mais sans vocation carcérale; une organisation réglementée, contrôlée jusqu'aux moindres détails, sans but répressif, une société qui affichait ses contradictions : il s'agissait de retenir contre leur gré des individus qui n'avaient commis aucun crime, en préservant leurs droits les plus élémentaires tout en les privant de l'essentiel, en restant inhospitaliers». Là, elle s'énamoure d'un Biélorusse apparemment réfugié politique et observe ses compagnons d'un soir, les maghrébins transsexuels, les «filles» de l'Est, toute une cohorte venue à l'Eldorado français avant d'y subir une cuisante déconvenue, parfois jusqu'à la tentation du suicide.

Mais ce qui gène, c'est qu'elle n'est pas comme eux, c'est que, poussée par ses origines ou son simple spleen, elle crée une situation qu'elle peut à tout instant interrompre, d'un simple coup de téléphone, armée d'un passeport. C'est là toute l'indécence d'un «roman d'investigation» qu'on ne saurait associer à une position intellectuelle, parce qu'il manque de vérité, parce qu'il manque aussi de violence, parce qu'il choque aussi dans ses raccourcis trop faciles. «Cette situation devenait tragi-comique. J'aimais ces oscillations qui donnaient un sens à nos vies mornes».

Au final, Douce France se résume à l'indignation quelque peu aveugle d'une amoureuse des Droits-de-l'Homme devant les contradictions de la Raison d'Etat ("monopole de la violence légitime", etc.). Et pour ne pas, par réaction, excuser les malversations réellement commises au nom de cette littéraire inconséquence, on se plongera vite dans les sites de la Cimade, de la Ligue des Droits de l'Homme, de l'Anafé, ou du récent et remarquable ouvrage de Clémence Arnaud, Droit d'asile, au NON de quoi ? (Editions Toute Latitude).

Bruno Portesi
( Mis en ligne le 02/05/2008 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)