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M Train
de Patti Smith
Gallimard - Folio 2018 /  7,80 €- 51.09  ffr. / 290 pages
ISBN : 978-2-07-276263-5
FORMAT : 11,0 cm × 18,0 cm

Première publication française en avril 2016 (Gallimard)

Nicolas Richard (Traducteur)


La ''carte de mon existence''

Dans Just Kids, paru en 2010, l'artiste Patti Smith faisait le récit de sa vie et de celle de son compagnon Robert Mapplethorpe : elle racontait avec émotion leur amitié et leur amour, leurs carrières respectives, leurs rencontres avec d'autres personnalités, leurs espoirs et leurs rêves de liberté. Avec M Train, l'auteure poursuit son entreprise autobiographique, en se centrant cette fois sur une autre période de son existence.

Elle évoque sa famille : son fils, et son mari, aujourd'hui disparu, Fred «Sonic» Smith, guitariste de Détroit. Mais aussi son rapport à la musique, et, surtout, à son «processus de création» ; on la voit revenir à une même table du café Ino, solitaire. Elle cherche à évoquer ses souvenirs. «Ce n'est pas facile d'écrire sur rien», déclare-t-elle.

Pas facile. Et pourtant. Patti Smith parvient à nous faire sortir de ce café, et, glissant subtilement du présent au passé, elle erre avec nous dans des lieux familiers. Elle nous fait traverser le monde, de New York à Mexico, du Japon à l'Angleterre, de la ville à la mer. Chaque chapitre devient une exploration géographique de son parcours, et son ouvrage devient, comme elle le nomme elle-même, une «carte de [son] existence». Cette promenade au coeur de ces lieux de mémoire est d'autant plus sensible et intéressante qu'elle ajoute aux anecdotes racontées des photographies des endroits traversés, des personnes rencontrées, des objets aimés, des tombes des grands hommes admirés.

Le récit en devient un peu décousu, mais cette fragmentation permet des aller-retour sur l'axe temporel et renforce l'oscillation permanente qui existe entre évocation de ses rêves et réalité, mais aussi entre léthargie et agitation, joie et tristesse. Patti Smith n'est jamais la même : son humeur mélancolique chemine en même temps qu'elle se déplace sur la carte de ses souvenirs, et elle se confie intimement, réfléchissant tour à tour au deuil, à l'engagement artistique, au passage du temps... «Je veux entendre la voix de ma mère. Je veux revoir mes enfants quand ils étaient enfants. Petites mains, petits pas rapides. Tout change. Le garçon a grandi, le père est mort, la fille est plus grande que moi, elle pleure après un mauvais rêve. De grâce, restez pour l'éternité, dis-je à ceux que je connais. Ne vous en allez pas».

C'est donc un beau voyage que nous propose l'auteure, dans un style simple mais non dénué de formulations poétiques. Il est seulement dommage que parfois le récit s'attarde trop sur des évocations littéraires, cinématographiques, musicales, ou picturales. La surabondance des noms propres et des références artistiques, qui pourrait enrichir le propos, le rend parfois au contraire trop anecdotique, au risque de perdre le lecteur si ce dernier ne partage pas tous ces clins d'oeil culturels. «J'offre mon monde sur un plateau rempli d'allusions», écrit-elle. Peut-être ce plateau aurait-il pu être moins chargé pour parcourir sa carte avec plus de fluidité et de légèreté.

Julie Malapert
( Mis en ligne le 18/04/2018 )
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