L'actualité du livre
Bande dessinéeet Historique  

Henri Désiré Landru
de Christophe Chabouté
Vents d'ouest - Integra 2006 /  17.99 €- 117.83  ffr. / 137 pages
ISBN : 2-7493-0289-7
FORMAT : 23x32,5 cm

La réhabilitation de Barbe-bleue

Landru est un de nos grands mythes policiers. Un vrai, et qui continue à faire couler de l’encre ou à brûler les planches. Les onze femmes, séduites, sciées, puis brûlées dans la cuisinière de la petite villa de Gambais, ont fortement marqué la mémoire collective, de Gaston Leroux à Laurent Ruquier en passant par Chaplin ou Chabrol. Mais contrairement à d’autres enquêtes historiques, Jack l’éventreur ou l’affaire du collier, les crimes de Landru n’avaient jusqu’à présent pas fait l’objet d’une contestation. L’homme de Gambais, qu’on en fasse un Barbe-Bleue du vingtième siècle ou une victime de la crise, restait un meurtrier parfait, un symbole de l’assassinat érigé en système.
Il est donc étonnant, et peut-être un peu décevant, d’opposer à l’image de ce serial killer l’interprétation qu’en donne Christophe Chabouté dans son dernier ouvrage. Car le dessinateur prend le parti d’innocenter le meurtrier supposé et d’en faire un simple escroc à la petite semaine, sous le coup d’une manipulation.
Or l’album s’ouvre sur un procès dont on sait l’issue : Landru sera condamné à mort. Plus de morale donc, mais une justice aveugle, et l’affaire connue prend le tour d’un roman policier, Chabouté se plaisant à bousculer nos certitudes.
Landru, victime d’un ancien combattant mutilé et de sa maîtresse, devient un simple bourgeois séducteur, un pantin pitoyable au langage châtié. Son éducation, qui en fait un homme du monde, le rend obsolète dans une France que la guerre de 14-18 achève d’éduquer à la barbarie. Partout, nécessité fait loi, et le sang n’a même plus de valeur marchande. Pour avoir voulu sauver sa peau, pour être resté à l’arrière tandis qu’au front on mourait, Landru est condamné à disparaître en paria sans parvenir à ses fins. Il est bel et bien un monstre, mais c’est son humanité qui lui confère paradoxalement un tel statut.
Il est le seul être gris dans un univers en noir et blanc, et même particulièrement noir. Les encres de Chabouté envahissent les cases, ne laissant que quelques ombres de fantômes comme de grandes traces blanchâtres. Le trait est plus sévère, réaliste, mais ne laissant pas de véritable place à l’émotion. Il ne s’agit pas ici de faire acte de psychologie, plutôt de suivre un cheminement sanglant et barbare. La fumée qui s’échappe par la cheminée de la villa, cette fumée qui a révélé aux voisins que la cuisinière servait intensément, même au printemps, cette fumée semble s’inscrire sur les pages et vient encore illustrer la couverture.
Locomotive à vapeur, armistice, première brigade mobile : il nous est offert une belle reconstitution de la France du début du siècle, entre passé et modernité. Chabouté associe la recréation historique et le cynisme d’une œuvre personnelle. Le lecteur se laisse plutôt prendre à ce polar un peu différent, qui joue à nous raconter l’Histoire comme on ne la connaissait pas. Avec un petit frisson dans l’échine pour ce monde, heureusement si loin du nôtre, où esthétique et politique comptent plus que la vie d’un homme.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 10/10/2006 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)