L'actualité du livre
Bande dessinéeet Manga  

Blue
de Kiriko Nananan
Casterman - Manga 2004 /  9,95 €- 65.17  ffr. / 228 pages
ISBN : 2-203-37313-X
FORMAT : 15x21 cm

Qui m’aime me fuie

Kayako, lycéenne pleine d’ambitions, trace sa route sans trop de questionnements et va continuellement de l’avant. Masami, énigmatique mais sans réelle envergure, subit son existence plus qu’elle ne la vit, optant pour des choix conformistes comme pour mieux se protéger des vicissitudes de la vie. L’une regarde vers l’avenir. L’autre est hantée par son passé. Tout les sépare. Tout, sauf l’amour. Un amour voué à l’échec : aspirations diamétralement opposées, projets de vie différents et idéaux contradictoires auront raison de cette passion insolite.

Ce sublime one shot, qui se démarque avant tout par un trait sensuel à l’esthétisme raffiné, nous offre dans un style épuré qui touche sans fioritures au cœur des choses une troublante histoire de solitude à deux. Poétiques, voire contemplatives, les illustrations se résument parfois à une succession de quelques lignes parallèles, retranscrivant avec une tristesse polie les tourments intérieurs qui agitent de diaphanes héroïnes en proie au subtil et délicat jeu des non-dits et des attentes à demi avouées. Le tout nimbé d’une retenue toute nippone, où masquer ses sentiments et étouffer des passions intérieures dévorantes est de mise pour sauver la face, à tout prix.

En choisissant comme toile de fond le difficile carrefour qu’est l’adolescence, qui laisse entrevoir tour à tour les opportunités les plus folles et les désespoirs les plus profonds, Nananan dresse le portrait souvent moqueur, parfois féroce, d’une jeunesse en perdition. En perpétuelle quête d’amour, les personnages développent ici d’opaques rapports de dépendance affective où le mimétisme côtoie l’admiration : cette douloureuse transition vers l’âge adulte où l’on tâtonne, trébuche, se prend de grandes claques dans la gueule pour finir par se relever et grandir inexorablement, se veut la stigmatisation d’un besoin d’absolu insatiable chez des êtres qui ne savent que faire de leur vie. Don bien inutile et encombrant, à vrai dire, lorsque l’on n’est guidé par rien...

L’auteur nous offre ainsi un étrange ballet à la mélancolie pleine de grâce, pour en arriver à un constat étonnant de lucidité désabusée : les autres sont une intarissable source de déception. Kayako, en quête d’un idéal que nul ne peut lui offrir, s’y brûle les ailes. Ce pathétique « je te laisse parce que je t’aime » se révèle sous la plume de Nananan d’une banalité et d’une tristesse affligeantes, et la troublante résignation de ses personnages touche souvent au sublime. Empruntant à Ebine la douceur et l’exquise cruauté du sentiment amoureux, cette mangaka de talent apporte sans doute au yuri ses plus belles lettres de noblesse.

Océane Brunet
( Mis en ligne le 24/12/2004 )
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