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Bande dessinéeet Manga  

Feux
de Sé-Young Oh
Casterman - Hanguk 2007 /  14,75 €- 96.61  ffr. / 279 pages
ISBN : 978-2-203-37708-0
FORMAT : 17x24 cm

Feux de détresse

Succession de petites histoires humoristiques pleines de dérision et teintée d’une tristesse infinie, Feux nous conte au travers de tableaux de la vie quotidienne une Corée pittoresque où cocufiages, petits malheurs et grandes vengeances sont monnaie courante.
Le cortège d’anti-héros aux mines patibulaires ou idiotes qui défile dans les pages de cette œuvre provocatrice et désespérée suscite un triste constat sur la nature humaine, où la folie le dispute à la violence. Les pauvres hères de Oh Sé-Young éveillent ainsi un apitoiement infini chez le lecteur qui partage leurs malheurs : syndrome de stress post-traumatique cogné, viols, meurtres, massacres et autres réjouissances, fruits d’un terrifiant régime dictatorial, accablent les protagonistes. Tous sont d’une extrême pauvreté et méprisés par leur propre famille. De ce dénuement naît l’envie, sentiment destructeur qui achève de les avilir. Les perspectives audacieuses utilisées par l’auteur rehaussent à merveille leur indignité et leur simplicité d’esprit, empêchant le lecteur d’entrer complètement en empathie avec eux.
Mais Oh Sé-Young parle aussi de la grande histoire du pays, tortueuse et complexe, qui a plongé toute une nation dans un marasme inextricable : guerre Nord-Sud, scission entre population urbaine et rurale, conflit des générations mais aussi de manière plus individuelle mesquineries entre voisins et beuveries compulsives. « En Corée, tout est antagonisme », semble vouloir nous dire l’auteur qui dresse le tableau d’un peuple malmené et en proie à de poignants démons intérieurs.
Cette chronique sociale qu’est Feux n’est d’ailleurs pas sans rappeler les écrits engagés du gekika, mouvement nippon de BD alternatives et subversives. Sur le fond tout d’abord, avec le format efficace d’histoires courtes qui dénoncent les travers de la société et laisse la part belle aux exclus et aux marginaux, mais aussi sur la forme, via une étonnante audace scénaristique et des illustrations abondamment crayonnées qui mettent en exergue la noirceur des personnages et la sordidité de leur existence. L’indéniable talent de narration de Oh Sé-Young ainsi que son habilité d’illustrateur font de Feux l’un des meilleurs ambassadeurs du manhwa de la fin des années 80.

Océane Brunet
( Mis en ligne le 24/07/2007 )
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