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Bande dessinéeet Réaliste  

La Colonne (tome 1) - Un esprit blanc
de Christophe Dabitch et Nicolas Dumontheuil
Futuropolis 2013 /  17 €- 111.35  ffr. / 80 pages
ISBN : 978-2-7548-0712-8
FORMAT : 24x30 cm

Le mythe de la caserne

Certaines rencontres semblent aller de soi. Christophe Dabitch et Nicolas Dumontheuil réalisaient des oeuvres cousines et il était naturel qu'ils finissent par travailler ensemble.
Le scénariste, depuis La Ligne de fuite, nous dévoile les moments méconnus de notre Histoire. Mais loin d'un cours magistral ou d'une aventure à l'ancienne, il souligne les doutes, les fêlures et les interrogations. Christophe Dabitch s'accroche au réel sans se restreindre au rationnel. Le voyage et la différence le touchent.
Quant au dessinateur, il a souvent fait la démonstration du lien entre réalité et onirisme. Dans Le Roi cassé et Big Foot, il a inventé des passés alternatifs, et dans Le landais volant, il s'est interrogé sur les capacités de l'occidental à voir l'Autre. Alternant entre le comique et l'académisme, Dumontheuil s'est trouvé un style drôle et authentique.
Les voilà donc ensemble pour ce diptyque consacré à La Colonne. Dans colonne, on trouve un peu de colonie, et c'est effectivement l'avenir des territoires français en Afrique que veut défendre cette petite troupe. Inspirée d'une véritable expédition de 1899, la mission du capitaine Boulet et du lieutenant Lemoine fait abondamment couler le sang des populations locales, au nom de la France et de l'Armée. Les deux officiers eux-mêmes n'en reviendront pas vivants.

Ces dernières années, la bande dessinée s'offre une relecture moderne de la colonisation de l'Afrique, depuis l'esclavage dans Atar Gull jusqu'à l'adaptation prochaine d’Au Cœur des Ténèbres de Conrad, en passant par la Vénus du Dahomey ou Kongo. La Colonne s'inscrit subtilement dans cette lignée. À travers les officiels, Dabitch restitue la pluralité des opinions de l'époque sur les forces coloniales, outils de commerce, de prestige et d'évangélisation. Il nous montre sans détours la banalité du racisme chez tout un chacun. Mais il ne joue pas pour autant la carte du manichéisme : les noirs sont aussi violents, aussi intéressés et amoraux que les blancs. « On a les mêmes chiens. » L'originalité vient surtout du personnage de « l'esprit de la colonne », fantôme militarisé déguisé en sorcier africain. Ni vraiment fermé aux cultures extérieures, ni dénué de préjugés, il incarne à la fois le narrateur et un lecteur potentiel. Peut-être un occidental moderne, comme pour excuser la couleur des auteurs, puisque c'est, une fois de plus, deux blancs qui parlent. Cet esprit de la colonne donne aussi de la modernité à la narration, faite de jeux de récits enchâssés et de rupture de rythme. Dabitch parvient ainsi à allier le lent cumul des épisodes avec une ironie toute littéraire, faisant de La Colonne un exercice de prise de recul.

Bien sûr, la qualité de l'album doit beaucoup aux planches de Dumontheuil. Quelques audaces burlesques entraînent vers le comique un dessin tout à la fois léger et minutieux. Le dessinateur n'épargne pas sa peine et se lance souvent dans des plans d'ensemble où chaque détail est riche de vie et de personnalité. Les couleurs directes ajoutent encore de la matière à cette ambiance chaude et inspirée.
Ces différents ingrédients se combinent naturellement. Page d'Histoire et page d'aujourd'hui, La Colonne montre que certains fantômes sont encore bien vivants.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 10/09/2013 )
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