Bande dessinée
Réaliste de Jean-C. Denis
Futuropolis 2016 / 16.50 €- 108.08 ffr. / 72 pages
ISBN : 978-26754861134-7
FORMAT : 21,4x29 cm
Décalage séculaire
Jean-Claude Denis reprend Luc Leroi là où il l'avait laissé il y a seize années : à la fin de Toutes les fleurs s'appellent Tiare, le dandy farfelu trouvait enfin une forme de paix dans les bras d'une jolie Tahitienne. Mais le temps passe bel et bien, et voilà que celle-ci finit par s'ennuyer à Paris. Elle persuade Luc de vendre sa voiture pour la suivre à Papeete.
Les retrouvailles entre Denis et son personnage-fétiche ont un tel goût de voyage dans le temps que Luc Leroi, pour la première fois, franchit les barrières de la chronologie. En prenant l'avion, il tombe dans des failles temporelles qui le feront découvrir le vieux Paris et rencontrer Gauguin, son idole. À la manière d'un Minuit à Paris, Denis se prête à une fable absurde et délicate où l'art est la seule véritable constante. Promeneurs mélancoliques de toutes les époques, l'esthétisme est votre seul refuge !
Luc Leroi, ancien écrivain plus nègre que créateur, et Paul Gauguin, peintre authentique à la recherche de l'absolu, discourent sur la beauté. Le tableau d'un pizzaiolo mérite autant d'attention qu'un chef-d'œuvre du temps passé, et une toile en cache une autre.
Les personnages sont tellement obsédés par l'art qu'ils ne se rendent pas compte tout de suite du temps où ils se trouvent, ou que du moins ils ne semblent pas y prêter une attention démesurée. Les époques sont floues ; une peinture de Gauguin peut se mêler à un café du vingt-et-unième siècle. Dans cette boucle infinie qui est aussi le propre des séries, on ne sait pas quel âge donner à Luc Leroi, éternel jeune adulte depuis quatre décennies. Le dessin de Jean-Claude Denis, toujours fragile mais de plus en plus réaliste, n'aide pas à faire la part des choses entre les rides et les traits du visage.
Dans ce mélange maîtrisé, Denis parvient à raconter une aventure poétique d'une grande sensibilité. La qualité des dialogues, la subtilité des images, en bref l'intelligence du récit prouve que le dessinateur a encore beaucoup à apporter à la bande dessinée, et que son héros historique peut y trouver sa place.
Pourtant, après l'intégrale de 2012, on aurait pu croire que Luc Leroi s'était rangé des voitures. Mais l'antihéros de ces dames a déjà montré qu'il avait plusieurs vies, comme les chats. D'abord sujet d'histoires courtes humoristiques, puis personnage principal de polar, le voilà pour la première fois embarqué dans le domaine du fantastique. Mal-aimé dans une bande d'amis, solitaire misanthrope, il se frotte maintenant aux expériences de la vie de couple. C'est pourtant toujours lui qui revient, dans son éternel smoking en guise de costume un brin désuet. On le retrouve comme un vieil ami avec qui nous avons déjà vécu de nombreuses aventures du quotidien. Espérons que cette jolie boucle ne sera pas une simple postface et que nous le reverrons encore souvent.
Clément Lemoine
( Mis en ligne le 03/04/2016 )
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