L'actualité du livre
Bande dessinéeet Réaliste  

Elle(s)
de Bastien Vivès
Casterman - KSTR 2007 /  9.95 €- 65.17  ffr. / 104 pages
ISBN : 978-2-203-00376-7
FORMAT : 17x25 cm

De vraies jeunes filles

Elles, c’est Alice et Charlotte. Lui, c’est Renaud. Elles ont 18 ans, lui 26. Elles sont étudiantes à la fac, il aimerait vivre de son dessin. Charlotte collectionne les copains, qui disparaissent de sa vie aussi vite qu’ils y rentrent. Alice joue la carte de la tendresse en exhibant autant que possible ses seins en montgolfière. Renaud, lui, est laid, gauche et timide, regarde beaucoup mais parle peu, dans l’attente d’un événement improbable. A priori, rien n’aurait du réunir ces deux jeunes filles délurées et ce paumé. Pourtant, avec un peu de hasard et beaucoup de sentiments, leurs routes se croisent jusqu’à ne plus se séparer…
Alice aime Renaud qui aime Charlotte qui aime tout le monde. Un schéma racinien qui a mené sa barque depuis Andromaque, mais qui a toujours fait ses preuves. La subtilité du scénario de Bastien Vivès tient à la légèreté avec laquelle il met en place et en scène les passions qui couvent.

Les personnages semblent bien décidés à cacher leurs fêlures, à ne pas se livrer véritablement. Les deux jeunes filles opposent au monde de l’amour deux armures différentes, deux fausses indifférences faites de drague ou de joie de vivre. Mais toutes deux finissent par révéler leur faiblesse et craquer. 18 ans ou la fin de l’adolescence.
Elles ont aussi le même visage, les lèvres et les yeux énormes comme pour manger le monde, dessinés d’un trait détaillé mais stylisé, chaleureux. À côté, les garçons ont l’air arrogants, trop souples et le regard plissé. Sauf Renaud, avec ses yeux exorbités.
Renaud pourrait peut-être représenter un autoportrait du dessinateur ; c’est en tout cas notre témoin dans ce monde, celui qui arrive de nulle part pour observer les personnages. Le découpage utilise souvent le point de vue subjectif, nous laissant profiter du spectacle et tirer nos propres conclusions. À tel point qu’on ne sait plus toujours si le charme de ces héroïnes n’est qu’un produit de la narration ou la traduction du mental de Renaud. D’abord attiré par Charlotte, on le sent pencher vers Alice au gré de caméras indiscrètes. Jusqu’à la dernière case, l’auteur se paye ainsi le luxe d’une histoire ouverte, où le témoin comme le lecteur ignore ce qu’il va advenir.

Elle(s) dresse un portrait de la jeunesse sans caricature. Bastien Vivès exprime le même regard pointu que lorsqu’il signe Poungi la racaille sous le pseudonyme de Chanmax : juste, un brin ironique, mais sans jamais se moquer véritablement. Il vit avec ses personnages, et exprime leurs émotions avec sincérité. Les dialogues sont réalistes, riches en expressions typiques et en phatèmes de remplissage. Peut-être un peu trop parfois, lorsqu’on perd le lien entre les bribes de phrases d’une case et d’une bulle à l’autre.
Ce léger sentiment de déséquilibre se produit parfois, une clef semble manquer qu’on ne nous rendra pas ; l’influence de l’animation a semble-t-il conduit l’auteur à ralentir certaines actions, à donner la même valeur à des épisodes importants comme à des scènes de transition, et le rythme en ressort décalé, parfois lent et parfois rapide. Comme une musique banale et pourtant personnelle.

Clément Lemoine
( Mis en ligne le 18/06/2007 )
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