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La Ligue des Gentlemen extraordinaires – Century (tome 3) - 2009
de Alan Moore et Kevin O'Neill
Delcourt - Contrebande 2012 /  14.95 €- 97.92  ffr. / 80 pages
ISBN : 978-2-7560-1930-1
FORMAT : 23x31,5 cm

La chute des héros

Troisième et dernier volet de cette saga Century, cycle de La Ligue des Gentlemen extraordinaires, d’Alan Moore et Kevin O’Neill. Le premier épisode se déroulait en 1910, le deuxième en 1969 et cet ultime volet prend donc place en 2009. Cette épopée temporelle est vécue par Moore et ses personnages comme un lent et douloureux déclin de la culture, de la société et de ses héros. Les gentlemen ne sont plus extraordinaires du tout. Ils sont clochardisés, enfermés dans des asiles psychiatriques, ou simplement à la ramasse. La pop culture de 1969 a pris le dessus et désormais, en 2009, les rues sont bordées d’affiches idiotes (un rappeur ninja), et les émissions de télé sont toujours plus débiles. « Les gens vivaient dans la misère en 1910, mais au moins ils trouvaient un sens à certaines choses. », s’écrie Mina Harker vers le dénouement de cet album. Triste constat tenu par une immortelle, alors que la fin des temps approche peut-être à grands pas, s’apprêtant à tout balayer, jusqu’au dernier des héros.
Ce survol de cent années est évidemment aussi un prétexte pour les auteurs pour placer leurs personnages dans des périodes clés, et offrir une ambitieuse aventure à travers le temps, où pourraient – grand jeu de Moore avec cette série – se rencontrer les personnages historiques et de fiction. C’est enfin une histoire assez simple (la lutte du bien contre le mal) qui met en avant puissances occultes, rites étranges et héros peu communs.

On peut choisir de lire toute la série sans arrière-pensée, et suivre cette histoire fantastique avec décontraction. Mais l’idéal est, comme pour les précédents volets, de s’équiper de Wikipédia et de culture générale afin de suivre convenablement ce qui se passe ici. Les références pullulent, la plupart passeront au-dessus des têtes des moins curieux, quitte à leur faire perdre le fil. Les autres saisiront des idées, des échos, des personnages. Il y a des allusions évidentes, et d’autres plus masquées, maquillées. Ici James Bond, là Docteur Who les héroïnes de Chapeau Melon et bottes de cuir, ou encore Mary Poppins et Harry Potter. Pour des questions de droit, mais aussi pour titiller le lecteur puisque rien n’est jamais dit clairement, il s’agit pour ce dernier de devenir enquêteur, et de partir sur les traces de l’esprit de Moore. Ce sont des livres remplis d’hyperliens, où un lieu renvoie à une période, où un personnage renvoie à un film ou un roman.

Après les deux premiers cycles devenus des classiques de Moore et O’Neill, ce Century se veut un peu comme une déconstruction du mythe et de ses recettes. Les constantes références à Brecht et la distanciation voulue par Moore montrent que rien n’est finalement pris très au sérieux. Les héros, anciennement légendes, en prennent tous un coup sur la tête, que ce soit un James Bond paralytique ou un Harry Potter devenu antéchrist qui pisse sur ses adversaires. On déboulonne les statues, on prend du recul sur le genre et les comics. Tout est ici franchement barré – un peu trop sans doute pour convaincre tout le monde – comme si Moore voulait en finir avec sa série mais aussi un certain type d’écriture et de narration. C’est une farce débridée, un comics book original et osé, rempli de folles idées. Pour peu qu’on accepte que Moore puisse écrire autre chose que la suite de Watchmen, cette série est un petit bonheur.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 26/11/2012 )
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