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Bande dessinéeet Comics  

Freaks of the Heartland
de Steve Niles et Greg Ruth
Semic books 2008 /  14.95 €- 97.92  ffr. / 144 pages
ISBN : 9782-35100-234-6
FORMAT : 17x26 cm

Le monde de Trevor

Dès la lecture commencée, on repense à ce célèbre tableau d’Andrew Wyeth, Le Monde de Christina. On y voyait une jeune femme à terre, au milieu des herbes sèches qui s’étalent devant la ferme familiale menaçante. Au-dessus, le ciel blanc et pesant, la perspective bouchée, l’Amérique profonde dans toute sa déprimante beauté. Ici, c’est le jeune Trevor qui vit dans un paysage similaire, horizons perdus et avenir incertain. Au cœur de la vallée de Gristlewood, dans une petite communauté de fermiers complètement isolée, l’enfant joue tout seul toute la journée, rêvant d’ailleurs et d’un camion providentiel qui viendrait l’emporter quelque part de l’autre côté de la montagne… Le soir venu, il retrouve ses parents. Elle, apathique et dépressive, lui violent et autoritaire. Mais le monde de Trevor ne s’arrête pas là ; il y a aussi un lourd secret caché dans la grange, un bébé de six ans, un monstre. Will est en effet une créature inquiétante, une erreur de la nature comme ils disent, un Elephant Boy que son père a condamné à vivre enfermé, dissimulé au reste du monde. Parfois, Trevor le fait sortir et s’amuse avec lui, lorsque la nuit est tombée. Les deux frères pensent alors à des jours meilleurs et à la liberté.

Les choses vont changer lorsque peu à peu, la communauté commence à parler et à dévoiler le secret qu’ils ont tous gardé : Will n’est pas le seul bébé monstrueux de la vallée, il y en a d’autres, eux aussi cachés et devenus la honte de leurs parents, une punition divine.

Mini-série de six comics books publiée de janvier à novembre 2004 par Dark Horse, Freaks Of The Heartland est une petite réussite dans le genre. Récit sur la différence et la tolérance, le livre joue aussi habilement des petits écarts fantastiques (d’où viennent ces créatures ?) et horrifiques. La peinture de cette Amérique profonde, souterraine même, est particulièrement sévère, donnant à voir des personnes violentes et stupides, colériques et bornées. L’irruption de la différence dans cette petite communauté, conduit à l’hystérie collective et aux actes démesurés. En vase clos, repliée sur elle-même, la ville n’a que le ciel immense au-dessus de sa tête à qui s’en prendre. Seuls les enfants portent un regard lucide et compréhensif sur ces créatures certes différentes, mais qui restent avant tout leurs frères et sœurs.

Le pinceau de Greg Ruth, tout en griffures et flous contrôlés donne à ce récit une force supplémentaire. Jouant sur les teintes terreuses, les bruns et les sépias poussiéreux, le dessinateur fait le portrait impressionniste d’une cité en crise. Bois, herbes, maisons et visages portent ces mêmes traces nerveuses, ces mêmes éraflures sombres qui font de Gristlewood Valley un inquiétant décor, seulement sauvé par des cieux rougeoyants, espoir d’un ailleurs rassurant, même si, devant tant d’immensité, Trevor se demande finalement où fuir ? Les grands espaces restent finalement toujours trop étroits pour qui n’est pas accepté. Le mythe de la vaste Amérique se grippe.

Mené avec soin et dans une ambiance marquante, le récit de Steve Niles déçoit quand la surenchère prend le dessus (Will qui crache des flammes ou deux mains tranchées d’un coup…), comme si l’auteur ne croyait pas lui-même à la force de sa fable et qu’il se sentait obligé d’en rajouter. Mais ces réserves mises de côté, Freaks of the Heartland s’avère être une jolie découverte, prodiguant quelques passages très réussis (le début notamment lorsque Trevor s’amuse tout seul, ou l’adieu à la mère…). Cette édition française reprend en fin de volumes quelques pages de recherches graphiques et surtout les six couvertures originales de Greg Ruth, petits instantanés de poésie horrifique.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 25/02/2008 )
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