L'actualité du livre
Bande dessinéeet Fantastique  

Les Yeux du Chat
de Alexandro Jodorowsky et Moebius
Les Humanoïdes associés 2011 /  49.95  €- 327.17  ffr. / 60 pages
ISBN : 9782731619003
FORMAT : 31x40 cm

Quand soudain surgit un aigle noir

Cet album arrive à mi-chemin des rééditions de l’œuvre de Moebius opérées par Les Humanoïdes Associés depuis quelques mois. Après les chefs-d’œuvre classiques et indispensables que sont Arzach ou Le Garage Hermétique et avant d’autres recueils attendus (Chaos, Le Bandard fou), voici donc cette petite fable noire et grinçante, première collaboration entre Mœbius et Jodorowsky. On y croise un enfant aveugle qui commande à son aigle royal le vol d’une paire d’yeux pour pallier à sa cécité. L’album n’est pas à proprement parler une bande dessinée puisqu’il n’utilise pas la planche comme moyen narratif mais l’illustration pleine page. A gauche, toujours le même motif, cet enfant vu de dos observant en hauteur la ville à ses pieds, un court texte reprenant son monologue. A droite, une illustration couvrant toute la surface et mettant en scène ce qui se passe dans les entrailles de cette ville, loin en-dessous de la tour. Le lecteur est ainsi mis à la place de cet enfant aveugle mais omniscient (il sait où se trouve le chat, il « voit » malgré son handicap), et, comme transporté par ce regard sur les lieux de l’action. C’est un rythme lourd, scandé machinalement par cette alternance de deux points de vue. C’est une montée progressive de l’action et de la froide horreur qui va avec.

Pour cet album datant de 1978, et depuis longtemps introuvable, les Humanos ont sorti le grand jeu. Il est d’ailleurs plutôt ironique de voir le traitement luxueux qui a été mis en place pour cette réédition lorsqu’on sait qu’à l’époque cette courte histoire était un cadeau distribué aux fidèles lecteurs. Il faudra aujourd’hui débourser 50 euros, se dépêcher (1500 exemplaires sont imprimés), et faire de la place sur les étagères avant d’acquérir l’objet convoité. On pourrait faire la fine bouche devant une telle débauche de moyens pour un album finalement secondaire dans la carrière du maître, mais il est vrai que ce format géant, ce papier épais et ce papier jaune, fidèle à l’original, emportent rapidement l’adhésion et le regard du lecteur. Quel plaisir de tourner ces pages ! Et de découvrir, en format immense ces planches de Mœbius. C’est l’occasion de se plonger à nouveau dans les sinueux espaces gravés par le maître. Il fait ici preuve de toute sa maîtrise tant dans la mise en scène de l’espace, que dans les détails. Son dessin est fait à la fois de verticales autoritaires, de courbes souples, et d’un système de hachures aussi précis qu’oppressant. C’est un régal de contempler tous ces détails et de se perdre dans ces planches qui brillent d’un éclat particulier.

S’il n’est pas le meilleur de Mœbius, il n’en reste pas moins un livre important, au climat fascinant. Cette ville déserte où seules sévissent trois âmes en peine (un enfant aveugle, un aigle esclave, et un pauvre chat qui en d’autres temps, aurait eu sa place dans les cours égyptiennes) est un formidable décor aux architectures cyclopéennes et labyrinthiques. Dans ces pages trop grandes pour eux, ces trois silhouettes se croisent, se toisent. C’est à la fois anodin (le prétexte du livre, sa chute…) et terriblement anxiogène. Comme un duel de western qui aurait sombré corps et âme dans une dimension onirique, comme une dernière tragédie absurde avant la fin des temps.

Alexis Laballery
( Mis en ligne le 12/11/2011 )
Droits de reproduction et de diffusion réservés © Parutions 2024



www.parutions.com

(fermer cette fenêtre)