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Bande dessinéeet Fantastique  

Les Jumeaux magiques
de Alexandro Jodorowsky et Georges Bess
Les Humanoïdes associés 2003 /  12.35 €- 80.89  ffr. / 48 pages
ISBN : 2731662220
FORMAT : 24 x 32 cm

Syncrétique

Alexandro Jodorowsky, un des maîtres du scénario d’heroic fantasy, retrouve Georges Bess (avec lequel il a déjà réalisé les séries Anibal Cinq, Le Lama blanc et Juan Solo) pour ce one-shot, une histoire pour enfants. Les Jumeaux magiques raconte l’histoire d’Aram et de Mara, un garçon et une fille, les deux princes jumeaux d’un royaume imaginaire. Leur père, le roi Jodhé, a été fait prisonnier par son ennemi Tartarath, et les deux enfants doivent, pour le libérer, subir une série d’épreuves imposées par Tartarath – tandis que leur mère, la reine Zarah, protégera leur royaume grâce à ses «pouvoirs mentaux». Ils seront accompagnés, tout au long de leur quête, par l’oiseau magique du royaume, la Lyrenne, sympathique bébé brontosaure ailé avec une tête de kangourou – une des trouvailles graphiques de Bess, qui rappelle un peu les géniales inspirations du Loisel de la mythique Quête de l’Oiseau du Temps.

On retrouve ici le syncrétisme classique de l’heroic fantasy en général et des scenarii de Jodorowsky en particulier. Il y a un peu de références bibliques : les deux jeunes enfants en train d’apprendre leur métier de roi se retrouvent ainsi dans une maison gigantesque soutenue par sept piliers (la Sagesse a bâti une maison soutenue par sept piliers, lit-on dans l’Ancien Testament). Il y a un peu d’ésotérisme oriental : à l’image des fakirs indiens, Aram et Mara doivent franchir un pont couvert de charbons ardents sans en souffrir, grâce à la seule puissance de leur esprit. Il y a enfin de nombreuses références aux contes pour enfants, comme lorsque les deux jeunes héros se retrouvent dans une île où poussent en multitude bonbons, sucreries, réglisses et sucettes maléfiques… On songe évidemment à Hansel et Gretel.

Tout dans cet album est très clair et la simplicité des symboles semble assumée. Les bons viennent d’un royaume de lumière : la capitale en est Kether, «cité du clair esprit d’où surgit toute lumière». Les méchants appartiennent au royaume de l’obscurité, qui tente d’envahir Kether à l’aide de nuages noirs. Aucune nuance dans ce paysage hanté par des personnages dont le manichéisme est souligné par le trait de Bess. On est ici dans un décalque du Seigneur des Anneaux, à l’usage des plus jeunes lecteurs. Aucune des nuances infinies qui viennent complexifier le monde inventé par Tolkien.

Certes, tout n’est pas si simple et la conclusion de l’histoire réserve une petite surprise. Les Jumeaux magiques s’inscrit néanmoins dans la logique des romans d’apprentissage mettant en scène de jeunes enfants, qui entrent dans l’âge adulte en triomphant d’une série d’épreuves initiatiques. Ces épreuves ayant pour cadre la quête du père, on peut parfaitement voir en Aram et Mara des héritiers lointains des Enfants du capitaine Grant de Jules Verne. Noble modèle, dont Jodorowsky et Bess s’écartent pourtant sur un point essentiel : la longueur de l’histoire. Un récit de quête, un roman d’apprentissage, pour réussir à dire quelque chose sur le sens de la vie, doit prendre son temps ; et c’est ce que permet le moins le format 48 pages retenu ici. Du coup, les épisodes se succèdent à toute allure, sans que leur signification profonde soit jamais mise en perspective – sans jamais non plus que le lecteur puisse avoir l’impression, même fugace, que les héros sont en réel danger. Dès que le suspense pourrait intervenir, la bonne Lyrenne le tue, grâce à l’utilisation d’un pouvoir magique ad hoc permettant aux jeunes enfants, certes très courageux, de se tirer d’affaire avant même d’avoir peur.

Et ce qui est vrai du suspense l’est aussi de l’ersatz de morale distillé par Jodorowsky : refus de la vie émolliente du chez-soi et valorisation des aventures dangereuses du plein-air grâce auxquelles l’adulte advient dans l’enfant. Un message global est ainsi délivré (servez-vous de vos cinq sens), mais la brièveté de l’histoire interdit de le développer jusqu’au bout (seuls l’odorat et le toucher sont vraiment convoqués, contre une vue trompeuse). Au total, à bien des égards, on a l’impression de lire le synopsis d’une histoire possible, plutôt qu’une histoire réellement racontée.

Sylvain Venayre
( Mis en ligne le 22/12/2003 )
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