Bande dessinée
Chroniques - Autobiographie de Pierre Christin et Philippe Aymond
Dupuis 2018 / 26 €- 170.3 ffr. / 136 pages
ISBN : 978-2-8001-6799-2
FORMAT : 21x28 cm
Rencontres du type du milieu
Avec l'extension de la bande dessinée à tous les domaines de l'édition, il
était prévisible que les mémoires en deviennent un genre à part entière. On
remarquera toutefois que son émergence se fait surtout à l'initiative des
bédéistes eux-mêmes. Chantal Montellier, Benoît Peeters, aujourd'hui Pierre
Christin nous livrent certains de leurs souvenirs. Les uns et les autres
n'ont pourtant pas manqué de prises de parole publiques auparavant : mais
inscrire sa mémoire dans un livre, et qui plus est un livre d'image, donne à
la démarche un sens bien particulier.
Au moment de sauter le pas, Christin hésite, au point de produire une
préface pour en être le premier commentateur. Est-Ouest devient ainsi
à la fois une œuvre à prendre pour objet et une démarche visant la sincérité
complète. Le cadrage adopte le point de vue du narrateur, et Aymond s'appuie
sur une documentation volumineuse. Curieuse sensation lorsqu'on devine
occasionnellement les originaux photographiques sous la forme dessinée des
images.
Les grandes lignes de la vie de Christin sont bien connues des amateurs qui
achèteront le livre. D'ailleurs le scénariste est assez pudique pour ne pas
s'étendre outre mesure sur sa vie privée. Les habitudes ne se perdent pas,
et en guise de mémoires, Christin se retrouve rapidement à faire un travail
de journaliste : son récit est d'abord un reportage étalé sur plusieurs
décennies, celui de ses voyages dans les grands espaces du capitalisme et
dans les villes froides du communisme. À ceci près que les dates sont
rarement évoquées : le scénariste leur préfère la chaleur du souvenir et
l'ancrage d'une vision personnelle. Une façon de réunir ses pôles
d'attraction et de se définir dans l'entre-deux. Si ses livres sur le monde
soviétique sont bien connus, il était important de rappeler l'importance
dans sa vie de la musique jazz. Valérian et Laureline, clairement plutôt à
gauche sur l'échiquier politique de la bande dessinée, sont aussi des
héritiers de la science-fiction américaine et vivent leur premier album dans
les décombres de New York.
Les mémoires semblent surtout un prétexte pour parler d'une époque révolue :
l'après-guerre et le silence sur l'holocauste ou la décolonisation, les
voyages au milieu de la guerre froide, les conflits entre ordre bourgeois et
contre-culture, les vestiges de la centrale de Tchernobyl.
Sa vie croise celle de Mézières, de Giraud, de Charlier, de Goscinny. Il
nous rappelle au passage qu'il n'est pas le scénariste d'une seule œuvre,
même si celle-ci éclipse en popularité le reste de son travail. Si ses
différents livres ne sont pas traités au-delà de la simple évocation, ils
ponctuent l'écriture en posant des jalons d'amitié. Ici un voyage avec Annie
Goetzinger, là une réappropriation par Juillard, ailleurs le sujet
d'illustrations de Bilal. L'équipée avec Aymond complète ce portrait de
groupe, même si le dessinateur a l'humilité de s'effacer derrière le
scénariste forcément à l'honneur. Dans ce bilan, Christin nous donne à voir
la trajectoire d'un homme libre, d'un observateur fasciné par les rencontres
et les découvertes, trouvant toujours sa place en se construisant face à
l'autre.
Clément Lemoine
( Mis en ligne le 26/04/2018 )
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